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Faites des rencontres coquines près de chez vous

Arlequin46

Le masque de Titia

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I

Depuis que le jour s’était levé, la pluie tombait sans discontinuer, tantôt fine et vicieuse, tantôt grosse et violente. A à peine 15 heures, la pénombre qui régnait laissait penser que la nuit était sur le point de tomber. Aussi loin que pouvait porter le regard, et même en y portant la plus grande des attentions, il était impossible de trouver la moindre touche de bleu, même pale, dans l’immensité du ciel qui s’étendait au-dessus de la campagne Seine-et-Marnaise. En cette seconde partie d’octobre, l’automne avait pris sa place, reléguant au rang du souvenir les chaudes journées estivales.

 

            Tous feux allumés, une Golf noire fendait les trombes d’eau qui s’abattait sur la D231, lancée à vive allure, conduite par un homme d’une quarantaine d’année que ce déluge ne semblait pas perturber. Le gyrophare, posé sur le tableau de bord, jetait des lumières bleutées, tournoyantes, dans tout l’habitacle, qui ne perturbait pas plus le conducteur à l’expression tendue, fermée, fort peu engageante. En fait, en y regardant de plus près, tout en cet homme inspirait plus la crainte que la sympathie : carrure d’un boxer poids lourd, nez cassé, barbe de plusieurs jours, jean, baskets, parka façon treillis militaire… si l’on venait à le croiser dans une rue, il donnerait envie de changer aussitôt de trottoir. Comme une cerise sur ce gâteau indigeste, une bosse déformait le côté gauche de sa parka, une proéminence causée par la crosse de son 357 Magnum. Oui, nous le croisions dans une rue, nous le prendrions sûrement pour un dangereux repris de justice, certainement pas pour le fonctionnaire du SRPJ (Service Régional de la Police Judiciaire) qu’il était en fait.

 

            Sa passagère n’offrait pas du tout la même impression négative. Chaussures de sport, de la marque aux trois bandes, elle était vêtue d’un jean large et d’un pull en grosse laine, sous un imperméable sombre, si ample qu’il était impossible de deviner ses contours de femme, pas plus que ne se devinait le Sig Sauer (pistolet semi-automatique 9mm Parabellum ultra léger) qu’elle portait à la ceinture. Ses longs cheveux, noir de jais, étaient attachés en queue de cheval et son visage, parsemé de quelques charmantes rides d’une trentenaire, présentait des traits fins et doux, s’ouvrant sur deux grands yeux noirs en forme d’amande et surmontés de longs cils courbés. Bien que ne portant aucun atour pouvant mettre en valeur sa féminité, et si l’on faisait fi de son accoutrement  pour se concentrer uniquement sur la partie visible de sa féminité, on se rendait vite compte combien Keira Leroy était une femme splendide, débordante de charme, une de ces femmes qui ne laissent jamais indifférent.

 

            La voiture roula dans un profond nid-de-poule, ce qui provoqua une secousse qui tira Keira des réflexions dans lesquelles elle s’était plongée pour faire passer le temps.

 

 

-          Nom de Dieu, Franck ! Tu veux nous tuer ?!

-          Ça va, je sais encore ce que je fais !

-          Mais pourquoi tu roules si vite ? C’est un mort qui nous attend là-bas : il ne va certainement pas s’enfuir !

-          Plus vite on arrive et plus vite on repart.

-          Pourquoi ? Tu as un train à prendre ?

-          Je n’ai pas plus envie d’être avec toi, que toi d’être avec moi, alors, fais pas chier !

-          Monsieur à ses humeurs !

-          Ta gueule, Leroy !

 

Keira Leroy et Franck Mercier ne pouvaient plus se voir, même pas en peinture. Normalement, ils ne travaillaient pas en équipe, mais un malheureux concours de circonstances les avait amenés à partir ensemble sur ce qui était peut-être une scène de crime. Toutefois, leurs relations n’avaient pas toujours été aussi tendues, à la limite de l’agressivité gratuite. Il y eut une époque, pas si lointaine, lorsque Keira commençait à prendre ses marques au SRPJ de Melun, où ils s’étaient bien entendus, au point d’en devenir amants. Leur liaison n’avait été que de très courte durée, juste le temps que la jeune femme comprenne qui était Franck, une brute épaisse à l’intelligence très relative, aimé par personne, et traînant de sombres affaires derrière lui. Aujourd’hui, avec le recul, elle ne comprenait pas comment elle avait pu faire une telle erreur et se demandait pourquoi les affaires internes ne s’étaient pas encore penchées sur lui.

 

Franck réduisit brusquement son allure ; ils venaient de passer le panneau indiquant qu’ils entraient dans la ville de Provins. Il bifurqua à gauche pour prendre la petite côte qui menait sur les hauteurs de la ville, là où les vestiges médiévaux étaient encore très présents.

 

Située sur le plateau Briard, bâtie autour d’un promontoire au confluent des vallées de la Voulzie et du Durteint, une légende dit que Provins tient son nom du général romain Probus qui y fit cultiver des vignes en devenant empereur en 276, annulant ainsi l’édit de Domitrius qui avait interdit l’implantation de vignobles en terres de Gaule, afin de favoriser le vin italien.

 

 

Mais, si l’origine de son nom ne tient peut-être qu’à un conte érodé par le temps, il est un fait certain : au fil des siècles, profitant d’une situation géographique avantageuse, Provins va prospérer tant et si bien, que la cité frappera sa propre monnaie (le denier provinois) et deviendra la capitale des comtes de Champagne et troisième ville de France, derrière Paris et Reims. 80000 habitants y vivront, contre à peine 12200 de nos jours.

 

Inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO, la ville tire aujourd’hui une grande partie de son économie des confiseries, et de divers produits dérivés, à base de la célèbre rose de Provins, une variété importée par Thibaut de Champagne, en 1240, de retour des croisades. Les rosiers sont de forme compacte, tout en arrondi, avec un feuillage d’un vert clair et c’est en juin qu’apparaissent les feuilles semi-doubles, de 8 cm de diamètre, avec des anthères jaunes proéminentes. D’un rouge carmin très brillant, la rose de Provins possède un parfum floral puissant et des fruits sphériques rouge orangé.

Une autre partie importante de l’économie de la ville réside dans le secteur du tourisme, un aspect qui fut, sans doute, négligé un temps, mais qui, aujourd’hui, draine quelques 220000 visiteurs par an.

 

En ce mardi d’octobre, nous étions bien loin de l’affluence d’un mois de juillet ou août. Sirène hurlante, la Golf passa sans encombre la porte Saint-Jean, d’où partent les vestiges, plus ou moins bien conservés, de la haute muraille médiévale, pour foncer dans la rue du même nom. Passé la Grange aux Dîmes, Franck donna un violent coup de frein et tourna brutalement à droite, rue Couverte, pour s’arrêter net sur la Place du Chatel.

 

-          Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? s’exclama-t-il.

 

Une foule conséquente de gens s’était formée sur un large coin de la place, sans doute beaucoup de provinois, mais aussi de nombreux journalistes de la presse nationale. Depuis la voiture, Keira et Franck aperçurent des caméras de BFM TV et quelques camions régis d’autres grandes chaînes télévisés. Un important cordon policier avait été mis en place pour contenir tout ce beau monde au centre de la place.

 

-          Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? répéta Franck qui tentait de se frayer un passage entre les badauds, à coup de klaxon furieux.

-          On ne va pas arriver à avancer plus loin. Gare-toi là : on va continuer à pied.

-          T’es folle ! T’as vu ce qui tombe ?

-          Et alors ? Tu n’es pas fait en sucre ? Si ?

-          Fais chier !

 

Keira poussa un soupir d’agacement, puis dégrafa sa ceinture de sécurité et ouvrit rageusement la portière.

 

-          Fais comme tu veux ! lança-t-elle en quittant la voiture.

 

Toujours à l’affût d’informations pouvant s’avérer croustillantes, la presse laisse traîner continuellement des oreilles sur les ondes radio de la police et gendarmerie nationale ; ceci n’est pas, bien entendu, un secret pour les personnes qui sont écoutées, et qui usent parfois de stratagème complexe pour rendre des messages incompréhensibles. Keira s’interrogea sur ce qui avait pu déclencher une telle affluence médiatique en ce lieu et commençait à se demander ce qui l’attendait de l’autre côté de la place.

 

Elle n’avait pas eu beaucoup d’informations concernant la possible scène de crime. En fait, tout c’était passé très vite : elle était à peine arrivée dans les locaux du SRPJ, que son patron lui était tombée dessus pour lui annoncer qu’elle partait, avec Franck sur un possible homicide, un jeune homme de race blanche, retrouvé mort chez lui. A cet instant, cela semblait être les seules informations dont disposait la police ; une heure à peine s’était écoulée, mais il lui paraissait que beaucoup d’autres détails avaient dû tomber entre temps.

 

 

Elle se faufila entre des journalistes de LCI et présenta sa carte de capitaine au policier qui se trouva nez-à-nez avec elle. Ce dernier s’écarta en lui indiquant où se rendre d’un simple geste de la main. La pluie avait baissé d’intensité, comme si elle laissait un espoir d’accalmie, mais les gouttes, fines et glacées, se glissaient désagréablement sous le col de l’imperméable de la jeune femme. Elle fourra ses mains dans les poches et rentra le coup dans les épaules, puis gagna, d’un pas rapide, la rue Maufranc. Plusieurs voitures de police et un véhicule du SMUR étaient stationnés devant l’entrée d’une impasse. Keira dut une nouvelle présenter sa carte avant de pouvoir accéder à l’impasse ; devant elle, se dressait une imposante bâtisse, sans doute très ancienne, dont tous les volets en bois rouge étaient clos. Sur le toit, une haute cheminée crachait des volutes blanches qui semblaient s’enrouler autour des gouttes de pluies, étrange vision qui donnait l’impression que la fumée souhaitait retenir prisonnières les gouttes de pluie, ou bien danser avec elles.

Après avoir franchi la porte d’entrée, elle aussi gardée par un policier en faction, Keira se trouva dans une pièce aux dimensions vertigineuses, comme si elle venait de mettre les pieds dans un loft, dont le modernisme de l’ameublement tranchait avec l’aspect vétuste de la façade de la maison. Elle jeta un long regard circulaire et remarqua que les lieux étaient savamment compartimentés par l’agencement des meubles. Sur un large coin gauche, on devinait parfaitement l’espace salon, composé de deux grand canapés en cuir blanc, disposés en « L » autour d’une table basse au design très futuriste, et d’un téléviseur écran plat, fixé au mur, dont Keira ignorait qu’il puisse exister une si grande taille. Il était allumé sur la chaine d’informations de BFM, mais, si elle devina, en reconnaissant la place qu’elle venait de traverser, que l’on parlait de Provins, elle ne pouvait entendre ce qu’il se disait, le son ayant été coupé.

 

Elle poursuivit son tour d’horizon, s’arrêtant un instant sur les détails composant la partie salle-à-manger, admirant la fonctionnalité de la cuisine américaine, placée au centre de la pièce, puis s’intéressa aux personnes en combinaison blanche, gantées et portant des masques couvrant nez et bouche, qui s’affairaient, telles des fourmis travailleuses, dans tous les coins et recoins de l’immense pièce, relevant des empreintes, cherchant des indices ; c’était la première fois qu’elle voyait autant de personnes de la Police Technique et Scientifique dans un même lieu.

 

-          On se croirait dans un épisode des Experts, pensa-t-elle tout haut.

-          D’abord ces charognards de journalistes et maintenant le grand déballage de moyens… Si tu veux mon avis, cette histoire pue !

 

Keira tourna la tête et observa la mine songeuse de Franck qui venait tout juste de la rejoindre. Elle savait qu’il avait raison : toute cette activité, qui dégageait une atmosphère électrique, très fébrile, n’avait rien de normale.

 

-          Je ne peux pas le croire ! Tu fais à nouveau équipe avec ce déjanté ?

 

Keira afficha un large sourire lumineux à l’approche de la chef légiste de l’Institut Médico Légal du Centre Hospitalier de Melun.

 

-          Bonjour Elise ! Cela fait un bail !

-          C’est vrai, à croire que l’absence de corps à autopsier t’a fait oublier mon existence ! répondit la légiste sur un ton de reproche.

-          Ne dis pas de bêtises ; j’ai été pas mal occupée ces derniers mois.

-          Et si tu m’expliquais ce que tu as fait de mal, pour que Bartoli te remette en équipe avec… lui ? demanda-t-elle en pointant Franck du bout du nez.

 

A bientôt 56 ans, Elise Marchetti, italienne de par sa mère, en paraissait tout au plus 40, tant elle avait toujours sur conserver une grande fraîcheur, une joie de vivre en total contraste avec la profession morbide qu’elle exerçait depuis tant d’années. Elle possédait aussi un franc parlé que certains considéraient dérangeant et qui lui avait parfois joué de mauvais tours, mais dont elle s’amusait tout le temps. Elle n’avait pas pour habitude de cacher ses sentiments ou ressentiments, qu’ils soient positifs ou négatifs et Keira avait très vite appris à apprécier cette femme volubile à sa juste valeur.

 

-          Je n’ai rien fait, répondit-elle en riant, mais Olivier a eu un accident et il est en arrêt. Quant à celui de Franck, il est en congés.

-          Pourquoi ? Il y a encore un équipier qui veut travailler avec toi ? renchérit Elise sur un ton des plus ironiques, en plantant un regard sombre dans les yeux du policier.

-          Toi, je crois que cela fait trop longtemps que t’as pas baiser ! maugréa Franck.   

-          Ravie de constater que ton langage est toujours aussi châtié !

-          On continue les amabilités, ou bien on s’intéresse enfin à ce qui nous réunis ici ? C’est quoi tout ce bordel ?

 

La légiste et le flic bourru se toisèrent du regard, prêts à s’écharper au moindre nouveau mot de travers. Plus que de l’antipathie, il y avait entre eux une sorte de haine farouche, une rage latente qui les opposait depuis aussi longtemps que Keira les connaissait tous deux. Ne voulant pas que la situation dérape, elle décida d’intervenir en revenant sur le sujet du moment.

 

-          Au-delà de sa façon de présenter les choses, je dois reconnaître que Franck à raison sur un point : pourquoi y-a-t-il tout ce monde ici ?

-          Ma chérie, tu ne me poses pas la bonne question, répondit Elise dont le visage s’était subitement radouci.

-          Et quelle est donc la bonne question ?

-          Tu pourrais me demander chez qui nous sommes, ou, encore, à qui appartient cette maison…

-          Okay ; à qui appartient cette maison ?

-          A Stéphane Marques !

-          Marques ? répéta Franck. Le député Marques ?

-          Député et candidat aux futures primaires pour la présidence de son parti, précisa Elise. L’un des hommes les plus puissants de l’opposition actuelle et qui, selon toute vraisemblance, se portera candidat à la présidentielle de 2017. La victime n’est autre que son fils !

 

Keira analysa rapidement ces nouvelles informations. A présent, elle pouvait comprendre la présence massive des journalistes : au cours des huit derniers mois, le député Marques s’était souvent retrouvé en première ligne de tous les grands journaux nationaux, presse écrite, radio, télévision, mais elle ne s’expliquait toujours pas le déploiement des moyens policiers mis en œuvre sur cette affaire. Le ministère souffrait de la politique d’austérité du gouvernement en place, même si ce dernier refusait toujours d’employer officiellement le terme « austère », et faisait donc des coupes drastiques dans les effectifs de la police, comme dans les moyens mis à leur disposition pour mener à bien leurs enquêtes.

 

 

-          Les circonstances et causes de la mort, reprit Elise qui semblait avoir lu dans les pensées de Keira, bien qu’encore inexpliquées, pourrait faire un grand tort à la carrière politique de Marques… surtout si la presse venait à s’en emparer.

-          Qu’entends-tu par « encore inexpliquées » ? demanda Keira.

-          Que je n’ai rien pu déterminer car on ne m’a pas encore laissé approcher le corps de la victime. Mais la scène, ou mise en scène, est assez parlante pour qu’une certaine presse se déchaîne contre le député, jusqu’à le tailler en pièce !

-          Bon ! s’exclama Franck excédé par le jeu des mystères, on ne va pas y passer la journée ! Il est où ton macchabée ?

 

Elise lui lança un regard si cinglant, que, derrière sa massive musculature, Franck ne put s’empêcher de frémir en baissant les yeux.

 

-          Ça se passe à l’étage ; suivez-moi.

 

Keira paraissait fascinée par l’étrange et triste spectacle qui s’offrait à sa vue. A l’inverse de la grande pièce du bas, la chambre était relativement petite et très sommairement meublée : une armoire métallique, servant sans doute de dressing, un petit secrétaire et un lit à hauts pieds. Une ampoule, fixée au plafond par son simple fil électrique, délivrait une lumière jaunâtre, quelque peu glauque, qui rajoutait une touche étrange, indéfinissable, à l’ensemble du tableau. Allongé sur le lit, Christophe Marques, 28 ans, semblait dormir paisiblement, la tête tournée sur le côté droit. Entièrement nu, il avait les pieds et mains liés aux quatre coins du lit par de fines cordelettes dorées. Sa verge était enfermée dans une sorte de petite boite transparente fermée par un minuscule cadenas noir. Un anneau, à première vue en silicone, enserrait ses testicules à la base du sexe et se poursuivait par une longue tige courbée qui s’enfonçait entre les fesses, avant de disparaître dans l’anus. A présent, Keira comprenait tout le sens des paroles d’Elise.

 

Le député Marques était un fervent opposant au mariage pour tous, considérant l’homosexualité comme une dérive pouvant mener au chaos, et il condamnait, combattait, certaines pratiques sexuelles induites, selon ses propres termes, par la prolifération incontrôlée des films pornographiques sur le Net. Qu’une photo de son fils, de cette scène, apparaisse dans un journal et sa crédibilité en prendrait un sacré coup ; il perdrait très certainement bon nombre de ses soutiens, pour ne pas dire tous, et sa carrière politique s’arrêterait net.

 

Cependant, Keira sentait qu’il lui manquait toujours une information importante. La présence des journalistes étaient expliqués, certes, même s’ils ignoraient le tableau de cette chambre, mais pas celle, aussi importante, du personnel de la PTS, dont trois autres membres inspectaient la chambre dans les moindres détails. Elle se décala un peu sur la droite du lit, tout en respectant une certaine distance afin de ne pas polluer la scène de crime, et scruta attentivement le corps inerte, y cherchant des traces visibles de blessures ; mais rien ne lui parut suspect, en tout cas, pas au point de découvrir une cause de décès. Son regard finit par se poser sur les yeux bleu, encore grands ouverts, et sans vie du jeune homme ; un désagréable frisson lui remonta le long de la colonne vertébrale.

 

-          Du SM qui aura mal tourné ! avança Franck d’un ton très convaincu.

-          Un peu hâtif comme conclusion, rétorqua Keira. Je ne vois aucunes blessures apparentes… La nuque ne me semble pas brisée… On l’a peut-être attaché, puis étouffé… Vous en avez encore pour longtemps ? demanda-t-elle à l’une des hommes en combinaison blanche.

-          Le corps sera à vous d’ici une dizaine de minutes, répondit l’homme après un court instant de réflexion.

 

Keira revint près de la légiste et de son équipier.

 

-          Tu tires des conclusions hâtives, dit-elle à ce dernier à voix basse, mais tu as certainement raison sur un point : il y a trop de monde ici qui recherche un peu trop précautionneusement le plus petit des indices.

-          Et cela veut dire quoi, selon toi ?

-          Je n’en ai pas la moindre idée… Tout ce que je peux dire c’est que, jeu sexuel qui aurait mal tourné ou bien meurtre, la personne qui était avec la victime, car il a bien fallu quelqu’un pour l’attacher ainsi, cette personne est partie en étant consciente que le fils Marques était mort… Qui est arrivé en premier sur les lieux ? demanda-t-elle à Elise.

-          Les flics de Provins. Ils sont partis il y a une vingtaine de minutes, environ, avec leur témoin.

-          Il y a un témoin ?

-          Je crois qu’il s’agit de la femme de ménage. C’est elle qui aurait découvert le corps.

-          Et quelle découverte ! Elle peut se faire un pont d’or avec ça ! ricana Franck.

 

Bien que la remarque ne fût pas totalement dénuée de sens, bien au contraire, Keira ne put s’empêcher de jeter un regard incendiaire à son équipier. Elle avait beau faire tous les efforts possibles, elle ne supportait plus sa présence. Cela n’avait pas uniquement à voir avec sa liaison passée : c’était tout le personnage qu’il incarnait qui la dégoutait aujourd’hui.

 

-          File au commissariat de Provins, lui dit-elle, et vois ce que tu peux apprendre de ce témoin. Moi, je vais rester encore un peu et tenter d’éclaircir certains points.

-          Oh ! Tu te prends pour la chef, ou je rêve ?

 

Le visage de Keira s’élargit dans un grand sourire de satisfaction, un sourire ironique et victorieux à la fois.

 

-          C’est pourtant le cas, répondit-elle d’un ton glacial. Rappelle-toi que j’ai réussi le concours : depuis la semaine dernière, je suis capitaine de police… et toi, tu n’es que lieutenant ! Mais peut-être n’étais-tu pas au courant ?

 

Franck baissa le regard sans rien trouver à répondre ; en fait, il avait oublié ce détail pourtant si important. Keira savoura le moment, tandis qu’Elise jubilait.

 

-          Va au commissariat, répéta Keira. C’est un ordre ! Et ne t’occupe pas de moi. Dès que tu auras fini, tu rentres au SRPJ pour taper ton rapport. Moi, je trouverai quelqu’un pour me faire raccompagner.

 

Place du Chatel, l’effervescence était encore montée d’un cran. De nombreuses rumeurs couraient à présent, parmi les provinois, sur ce qu’il se passait, ou s’était passé, dans la maison du député, des rumeurs dont les journalistes se faisaient le relais pour écrire une histoire, puis la défaire, un peu plus tard, pour en écrire une autre, puis une autre encore. Au milieu de la centaine de personnes, une seule se taisait, ne colportait aucun ragot, mais se contentait simplement d’épier, d’écouter, sans attirer l’attention. C’était un homme de haute stature, portant un chapeau noir à large bord qui le protégeait de la pluie fine. Il estima qu’il en avait appris assez, c’est-à-dire rien du tout, car personne ne savait rien, et qu’il était temps de partir. Il redressa le col de son blouson et s’extirpa de la foule compacte. Faisant des pas très allongés, il s’engouffra dans la rue Saint-Thibault où il retrouva sa voiture. Une fois installé au volant, il retira son chapeau et ouvrit son blouson. Il était chauve et une veuve noire, dont les pattes avant descendaient jusqu’à sa nuque, était tatouée sur la base de son crâne. Son visage était tendu et son regard affichait une certaine anxiété.

 

 

-          Quelle merde ! pensa-t-il tout haut. Quelle merde !

 

Il ferma un instant les yeux et réfléchit sur la manière dont il allait pouvoir annoncer cela, puis il prit une profonde inspiration et sortit son téléphone de la poche intérieure de son blouson. Ce faisant, il découvrit un instant le holster d’épaule dans lequel pendait un Sig Sauer. Il composa rapidement le numéro d’un fixe parisien, puis porta le mobile à son oreille. Au bout de la seconde sonnerie, une voix douce et légèrement cristalline lui répondit.

 

-          Bonjour, madame, dit-il.

-          Qu’y-a-t-il ?

-          Nous avons un problème.

-          Quel genre de problème ?

-          Le fils Marques est mort.

 

Il y eut un silence durant lequel l’homme devina que son interlocutrice emmagasinait et analysait l’information qu’il venait de lui communiquer.

 

-          Si vous m’appelez pour me dire ceci, c’est que cette mort à une cause non naturelle, je suppose ?

-          Oui et non.

-          Pouvez-vous être plus clair ?

-          Il était avec Liliane. D’après ce que j’ai pu comprendre de ses explications, le cœur du fils Marques aurait brusquement lâché.

 

Il y eut un autre silence, plus long que le premier. Sans doute, l’interlocutrice cherchait à évaluer la situation.

 

-          Quand est-ce arrivé ?

-          Cette nuit.

-          Liliane n’aurait pas dû se trouver avec lui, cette nuit. Ce n’était pas prévu. Que faisait-elle avec lui ?

-          Du sexe.

-          Où est-ce arrivé ?

-          Dans la maison de Provins. Le jeu avait commencé.

-          Le jeu ? Je ne comprends pas. Je n’avais pas missionné Liliane pour cette nuit !

-          Ce n’est pas ce qu’elle m’a dit.

-          Je ne comprends pas… Vous avez fait le nettoyage ?

-          Je l’ai su trop tardivement. Le SRPJ était là avant moi. Il y a aussi des journalistes, beaucoup de journalistes.

-          Vous n’êtes pas entré ?

-          J’appartiens au 36. Je n’ai aucune raison valable d’être sur les lieux, tant que je n’en reçois pas l’ordre de ma hiérarchie.

-          Bien sûr… Où est Liliane à présent ?

-          Chez moi.

-          Selon vous, la police a-t-elle un moyen de remonter jusqu’à elle ?

-          Je ne sais pas, mais ils ont sorti les gros moyens… Le risque est hautement probable.

-          Voilà qui est fâcheux.

-          Que souhaitez-vous que je fasse ?

-          Rien, pour le moment. Contentez-vous de m’amener Liliane, ce soir, au club.

-          Bien, madame.

 

L’homme coupa la communication, puis alla dans le journal des appels pour effacer le numéro qu’il venait de composer. Au même instant, un éclair zébra le ciel noir et la voiture vibra sous la puissance du tonnerre qui gronda aussitôt ; un rideau d’eau s’abattit sur la voiture provoquant un vacarme assourdissant.

 

Située à la fois dans le 1er et 8eme arrondissement de Paris, débutant rue de la Lingerie, près des Halles centrales, pour se terminer  rue Royale, la rue Saint-Honoré, à ne pas confondre avec le boulevard du même nom, doit son nom à l’église collégiale, aujourd’hui disparue, Saint-Honoré d’Amiens, qui se trouvait dans le cloître Saint-Honoré. Elle fait partie des voies très anciennes de la capitales, prolongement, vers l’ouest, du deucumanus maximus gallo-romain, du temps où Paris s’appelait Lutèce.

 

Tout au long de son histoire, la rue Saint-Honoré, simple chemin reliant Saint-Ouen, Argenteuil et Neuilly jusqu’à la fin du XIIe siècle, connut de nombreuses évolutions et de nombreuses appellations avant de devenir celle que les parisiens arpentent aujourd’hui. Son histoire reste encore très apparente, assez facilement traçable pour qui veut bien prendre le temps de lever le nez et lire les plaques et inscriptions nichés dans les murs de certains bâtiments. Ainsi, en observant attentivement la façade de la pharmacie se trouvant au numéro 115, on peut lire les inscriptions suivantes : « Fabrique d’extraits évaporés dans la vapeur et dans le vide » et « Produits chimiques et pharmaceutiques de Bernard Derosne et Ossian Henry ». Non seulement cette pharmacie existait déjà en 1715, mais Marie-Antoinette s’y fournissait en onguents et produits de beauté ; il paraîtrait même que Hans Alex de Fersen y trouvait l’encre sympathique qui lui permettait de correspondre secrètement avec la reine.

 

Au 202, une plaque en hauteur rappelle la présence de l’Académie Royale de musique, en fait une salle d’opéra qui brûla en 1781, faisant 21 victimes. Entre les numéros 155 et 161, nous trouvons l’hospice des Quinze-Vingts, fondé par Louis IX pour abriter 300 de ses chevaliers ayant perdu la vue lors des croisades.

 

 

Alexandre Dumas père eut son bureau au 216, de 1823 à 1830, époque où il travaillait pour le Duc d’Orléans, futur Louis-Philippe 1er, et séjourna au 185, entre 1864 et 1866.

 

Au 284, se trouvait autrefois la demeure du marquis Louis de Fontanes, poète et ami de François-René de Chateaubriand et ce n’est qu’à quelque pas de ce numéro, au dernier étage d’un immeuble en comptant six, que l’interlocutrice de l’homme à la veuve noire avait pris ses quartiers parisiens.

 

-          Une mauvaise nouvelle, madame ?

 

Madame fit lentement pivoter son fauteuil en cuir noir. Sa chevelure retombait en vagues dorées de chaque côté de ses épaules. Ses yeux, d’un gris hypnotisant, se plantèrent dans ceux de son homme à tout faire : majordome, chauffeur, garde du corps et, à l’occasion, amant.

 

-          Un contretemps, répondit-elle d’une voix qui trahissait une pointe d’inquiétude.

-          Grave ?

-          Je ne sais pas encore… Fâcheux, sans doute.

-          Y-a-t-il quelque chose que je puisse faire ?

 

Elle tenait encore le téléphone dans sa main et le faisait machinalement tourner dans ses doigts, comme si cela l’aidait à réfléchir. Il y avait bien longtemps qu’elle n’avait plus ressentie une telle sensation désagréable, mélange de nervosité et d’appréhension incontrôlable, bien longtemps qu’elle n’avait plus eu le sentiment qu’une situation était sur le point de lui échapper. Elle n’avait encore aucuns détails concernant cette sombre histoire, et n’en aurait pas avant le soir, mais son intuition lui soufflait que des jours, sinon difficiles, en tout cas très compliqués se profilaient à l’horizon.

 

-          Oui, finit-elle par répondre en posant le téléphone sur une table basse. J’ai besoin de me détendre pour retrouver la clarté de mes esprits !

 

Elle décroisa ses longues jambes fines, gainée dans une fine soie noire, et se leva de son fauteuil pour se diriger, d’un pas lent mais décidé, vers son homme à tout faire. Lorsqu’elle fut à sa hauteur, elle posa ses mains sur ses épaules et y exerça une pression pour le faire se baisser. Une fois qu’il fut agenouillé à ses pieds, elle releva sa jupe noire, découvrant des jarretières aux couleurs pourpres qui maintenaient ses bas, courant le long de cuisses légèrement dorées, puis sa culotte, faite d’un voile léger, sombre, aux bordures dentelées de rouge.

 

-          Suce-moi ! lança-t-elle sur un ton qui tenait plus d’un ordre, que d’une demande. Fais-moi jouir avec ta bouche ! J’ai besoin d’un orgasme pour y voir plus clair.

 

L’homme ne marqua pas la plus petite expression d’étonnement ; il était habitué à ce genre de demande particulière de sa patronne, parfois même dans des lieux insolites, pas toujours très adaptés. Il n’en retirait pas systématiquement du plaisir, si ce n’est celui d’en donner, mais il aimait son employeuse, pas de cet amour qui unit un couple lambda, mais d’un amour bien plus puissant, allant au-delà de l’entendement. Il était prêt à tout pour elle, même à mourir, s’il le fallait un jour.

 

 

Ce lien puissant  avait commencé à se tisser quinze ans en arrière, à New-York, alors que la jeune Mélissa sortait violemment de son adolescence, qu’elle était perdue dans le chagrin causée par la mort de son père et encore plus perdue dans les méandres obscurs, sournois, tortueux et dangereux de la haute finance. Au fil des années, l’homme taciturne, ancien marine, avait observé la transformation de la chrysalide, avait vu la frêle jeune femme devenir de plus en plus forte, de plus en plus sûre d’elle, se faisant craindre et haïr de ses ennemis ; en quelques années, poussée par des évènements non choisis, Melissa était devenue une femme implacable, machiavélique, sans pitié pour ses adversaires.

 

Il n’était pas devenu immédiatement son amant ; durant de très longues années, il n’avait été que son garde du corps, parfois son confident, toujours dans son ombre, prêt à bondir sur tous ceux qui auraient le malheur de vouloir s’opposer trop fermement à elle. Puis, cela s’était fait, un soir, sans aucune raison particulière ; peut-être était-ce écrit, tout simplement. Il avait aussitôt regretté ce moment d’égarement, mais pas elle et ils avaient recommencé, pas régulièrement, mais très ponctuellement. Quelque part, ces épisodes faisaient parties intégrantes de leur étrange relation.

 

Avec un profond respect et une grande application, il approcha ses lèvres de l’intimité voilée, trésor des trésors, dont il savait la source abondante. Un souffle, comme un long trait chaud, balaya les cuisses de Mélissa avant de se transformer en une sorte de courant électrique qui se propagea rapidement dans tout son être. Elle se raidit, rejeta sa tête en arrière et ferma les yeux. Cela faisait bien longtemps qu’elle avait appris les bénéfices d’un orgasme sur un esprit perturbé par des pensées négatives. Elle n’aimait pas particulièrement se servir ainsi de Mickael, comme s’il n’était rien de plus qu’un vulgaire objet à donner du plaisir, mais, à cet instant, elle avait un besoin impérieux de décompresser, de lâcher prise et elle savait l’homme fort habile avec sa langue et sa bouche.

 

Il posa enfin ses lèvres dans la chaleur moite de l’entrecuisse et Mélissa se tendit en jetant son bassin vers l’avant. Un effluve de désir vint flatter ses narines et il se jeta aussitôt sur le féminin sacré pour le baiser au travers de la culotte, des baisers qui tenaient presque de la dévotion.

 

 

Melissa crispa ses doigts sur le pan de sa jupe en laissant échapper un long soupir d’extase, puis elle lâcha le vêtement qui, en retombant, recouvrit la tête de son amant. Elle laissa glisser ses mains sur le coton, jusqu’à ce qu’elle sente le crane de Mickael sur lequel elle appuya fermement. Elle ressentit immédiatement le plaquage plus net de la bouche contre sa vulve et en trembla de plaisir.

 

Pris dans l’ivresse des senteurs féminine, Mickael se mit à mordiller sauvagement la petite culotte, avant de se mettre à la lécher à grands coups de langue. Petit à petit, sous la pression de l’organe, le tissu s’insinua dans le sillon formé par les grandes lèvres vaginales et s’imbiba des saveurs de la cyprine.

A mesure qu’elle se sentait gagnée par l’excitation, les craintes et doutes qui s’étaient emparés de Mélissa se dissipaient, comme si la longue langue râpeuse, en plus de la faire mouiller si fort, de faire papillonner le creux de ses reins, arrivait à aspirer toutes les idées noires qui avaient submergées son esprit quelques minutes plus tôt.

 

Mickael fit glisser ses mains le longs des cuisses de sa patronne, les fit passer sous la jupe et empoigna fermement le fessier. Il le massa un moment, tout en continuant ses jeux de langue, et sentait monter son propre désir ; son sexe s’était durci, prenait de plus en plus de place dans son caleçon. Il savait qu’il devrait aller se soulager dans les toilettes, plus tard, car il avait parfaitement compris que cet épisode n’irait pas plus loin que le seul orgasme de sa patronne, mais cela lui importait peu : entendre les gémissements du plaisir qu’il procurait lui suffisait amplement ; tout le reste n’était qu’un détail insignifiant.

 

Il stoppa son massage des fesses et poussa la culotte sur un côté. Il aspira l’une des grandes lèvres vaginale dans sa bouche, tira dessus, puis la libéra pour planter sa langue dans la cavité qui ne cessait plus de lubrifier. Mélissa laissa échapper un cri et commença à onduler vivement des hanches. Elle ressentait parfaitement bien la langue qui s’activait en elle, telle une anguille électrisante. Des ondes délicieuses montaient le long de ses mollets, s’amplifiaient dans ses cuisses, pour exploser dans ses reins. A chacune de ces explosions, un flot de cyprine se déversait dans la gorge de Mikael qui l’avalait avec un délice non feint. Enfin, il cessa de fouiller la cavité vaginale, pour partir à l’assaut du clitoris émergeant de son cocon. Il fit tournoyer sa langue autour du sublime bouton, puis sur lui, lentement, rapidement, puis lentement encore, et finit par se jeter sur lui à pleine bouche, l’aspirant entre ses lèvres, le suçant sans ménagement.

 

Toute la pièce vibra des gémissements répétés, des cris jetés sans demi-mesure, transformant l’atmosphère, si tendue quelques instants auparavant, en un jardin des plaisirs dont Eros aurait pu pâlir de jalousie.

Mélissa, perchée sur des escarpins à hauts talons, se sentait de moins en moins sûre de son équilibre. Ses jambes, de plus en plus cotonneuse, semblaient sur le point de se dérober sous elle d’une seconde à l’autre. Ses reins brûlaient d’un délicieux feu intérieur ; de longues vagues balayaient son ventre et venaient mourir, en un enivrant ressac, à l’entrée de sa gorge, pour se transformer, une fois à l’air libre, en de longues plaintes de bonheur. Arriva le moment où l’une d’elle fut plus forte que les autres, comme un raz-de-marée qui lui donna l’impression d’être soulevée du sol. Toutes les fibres de son corps se mirent à vibrer ; elle crut que ses reins explosaient et elle perdit le contrôle de son corps, de son esprit, prise toute entière dans les remous tumultueux de l’orgasme.

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Titia est de retour !

 

J'adore ce début plein de suspens.

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Titia est de retour !

 

J'adore ce début plein de suspens.

Titia est un personnage que j'ai créé pour ma toute première histoire érotique, mais je ne l'ai jamais mise en sçene comme je l'aurais souhaité. Voilà pourquoi je reprends ce personnage aujourd'hui , dans une histoire où les couleurs seront plutôt sombre :)

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II

-          Allez, réfléchis un peu ! Concentre-toi, observe et trouve ce qui cloche !

 

Assise sur l’une des marches de l’escalier donnant sur la pièce principale de la maison, Keira promenait lentement son regard de gauche à droite, puis de droite à gauche, cherchant le détail qui pourrait apporter un début de réponse aux nombreuses questions qu’elle se posait.

 

-          Réfléchis ! se répéta-t-elle.

 

Pressentant qu’elle n’apprendrait rien de plus, pour le moment, sur les causes de la mort de Christophe Marques, elle avait laissé Elise Marchetti patienter dans la chambre, pour partir explorer les autres pièces de la maison situées au premier étage. Elle n’y avait rien trouvé d’intéressant, si ce n’est, dans certaines d’entre-elles, encore des agents de la scientifique. De plus en plus intriguée par tout ce déballage de moyens, elle avait fini par demander à l’un d’entre eux où se trouvait leur responsable, mais, curieusement, il semblait que personne ne savait où était ce responsable, ni même qui il était. « On a reçu un ordre de mission, lui avait-on répondu à un moment, et nous exécutons. ». Quelqu’un avait fait appel à eux : qui ?

 

Partout où se posait son regard, elle apercevait une personne en combinaison blanche ; il n’y avait pas un seul policier en uniforme, pas plus qu’elle ne voyait d’hommes ou femmes en civil qui pourraient passer pour un lieutenant ou autre enquêteur. Il ne semblait y avoir présent, à l’instant même, que le personnel de la P.S.T, la légiste et elle-même.

 

 

Keira s’intéressa à l’écran télé, toujours en sourdine, et lut les bandeaux « alerte info », qui défilaient sous les deux animateurs de BFM TV : « Découverte, dans la matinée, du corps sans vie de Christophe Marques », « Mort suspecte, dans des conditions étranges »… « Ces journalistes en savent tout de même un peu trop », pensa-t-elle dubitative.

 

 

Elle s’intéressa à nouveau à ce qu’il se passait dans la pièce ; les agents de la P.S.T semblaient en avoir terminé avec leur recherche car plusieurs évacuaient les lieux en transportant d’imposantes mallettes et en laissant un grand désordre derrière eux. Keira s’intéressa à ce désordre se mit à penser que les recherches minutieuses de la scientifique ressemblait étrangement à une fouille en règle et sans ménagement de la maison.

 

-          C’est ça ! s’exclama-t-elle en se redressant d’un bond.

 

Une lueur brilla rapidement dans les yeux de la jeune femme, ce type de lumière qui illumine votre regard lorsque vous faites une découverte, ou bien lorsque vous avez une idée lumineuse ou que vous pensez détenir un début de réponse ou de vérité à une problématique donnée. Tout en descendant les dernières marches de l’escalier, elle observa la grande scène sous un nouvel aspect et ce qu’elle y vit conforta un peu plus l’idée qui venait de germer dans son esprit.

 

 

-          Qui êtes-vous et que faites-vous ici ?

 

Keira s’arrêta net au pied de l’escalier et dévisagea l’homme, en complet sombre, qui semblait courir à elle tant il marchait vite. L’espace d’une seconde, elle eut l’impression de lire dans son regard, presque aussi sombre que son costume, une lueur d’affolement.

 

-          Capitaine Keira Leroy, S.R.P.J, répondit-elle une fois que l’homme se fut arrêté à quelques centimètres d’elle. A qui ai-je l’honneur ?

-          Que faites-vous ici ?

 

Elle ignorait encore qui pouvait être cet homme, mais il l’agaçait déjà fortement avec son ton sec, claquant, et son air hautin qui vous dit que vous n’êtes rien de plus qu’un vulgaire insecte qui dérange.

 

-          Je suis venue pour le barbecue géant, répondit-elle sarcastiquement et avec un grand sourire. Mais il me semble que la météo n’est pas au rendez-vous. Le barbecue a été annulé ?

-          Vous vous croyez drôle ?

-          Je crois surtout, cher monsieur, que je vais vous coller mon poing dans le gueule, si vous ne descendez pas immédiatement de votre pied d’Estale !

 

L’homme s’approcha encore un peu plus. Du haut de ses 1m80, il surplombait Keira de deux têtes, la toisant comme un gladiateur triomphant de son adversaire et sur le point de lui asséner le coup de grâce. Mais cela n’impressionna aucunement la jeune femme.

 

-          Je vous retourne la question, dit-elle en desserrant à peine les dents. Qui êtes-vous ?

 

L’homme se recula de quelques pas en affichant une grimace qui se voulait, peut-être, être un sourire. Il prit quelques secondes pour détailler plus attentivement ce petit bout de femme qui lui tenait tête avec un tel aplomb. Au-delà des vêtements bouffant qu’elle portait, il devinait un physique frêle, ce qui ne signifiait pas qu’il n’était pas athlétique, et la lueur noire qu’il voyait dans son regard lui laissait à penser qu’elle n’hésiterait pas une seule seconde à lui coller son poing dans la gueule. Au fond de lui, il savait qu’il le méritait bien, à la manière dont il avait engagé les hostilités.

Stéphane Lemoine, 42 ans,  n’était pourtant un homme d’un naturel agressif ; il était plutôt quelqu’un de tranquille, posé, mesuré et courtois. Mais aujourd’hui son sens de la mesure s’était quelque peu éclipsé, pour laisser la place à une forte anxiété. Il avait conscience que lui et son équipe marchaient sur des œufs, flirtaient à la frontière de la légalité. Jusqu’à cet instant, il était persuadé que tous les flics locaux, à part ceux en faction à l’extérieur, avaient vidé les lieux, qu’il ne restait plus que la toubib de l’I.M.L et qu’ils avaient donc le champs libre pour leur fouille. Et voilà qu’il tombait sur un imprévu non souhaitable, le grain de sable qui pouvait enrayer la machine, mettre en l’air toute l’opération si cela devait s’ébruiter. Il avait cédé à un moment de panique, preuve que cette histoire, où il fallait jouer très serré, trop, commençait à lui peser beaucoup.

 

Sa grimace se changea en un véritable sourire, ce qui eut pour effet immédiat de modifier sa physionomie, le rendant beaucoup plus sympathique, presque charmant. Il tira une carte professionnelle de sa poche et la présenta à Keira.

 

-          Commandant Lemoine, dit-il sur un ton bien plus amical que précédemment.

 

Keira ne put retenir une expression de stupéfaction. L’espace d’un instant, le temps que ses idées se remettent en ordre, elle se demanda si elle n’était pas encore chez elle, dans son lit chaud et douillet, et si tout ceci, au final, n’était pas un simple rêve tant les évènements semblaient toujours se diriger vers une histoire improbable, digne d’une série policière américaine.

 

-          Je comprends votre étonnement.

-          Etonnement ? Je ne suis pas certaine que cela soit le bon mot… Incompréhension serait plus juste ! Qu’est-ce qu’un officier d’INTERPOL fait ici ?

 

Lemoine se mordit la lèvre supérieure dans un tic incontrôlé, nerveux. Le moment des questions embarrassantes étaient venues, d’autant plus embarrassantes qu’il savait pertinemment que l’officier du S.R.P.J avait tous pouvoirs sur lui : officiellement, il n’avait pas à se trouver ici.

 

-          Je pense que vous êtes assez intelligente pour comprendre qu’il y a des questions auxquelles je ne suis pas en mesure d’apporter de réponses, n’est-ce pas ?

 

Il scruta le visage de Keira pour tenter d’y trouver une quelconque émotion, mais, la stupeur passée, la jeune femme semblait s’être retranchée derrière un mur d’impassibilité à toute épreuve.

 

-          Toutefois, reprit-il, sachez que cela n’a aucun rapport avec le motif qui vous a amené ici. En fait, je dirais que c’est une suite de circonstances… inattendues, qui nous place, tous deux, au même endroit, au même moment… Vous et moi sommes sur deux affaires bien distinctes, ajouta-t-il avec insistance.

 

Sans dire un mot, Keira se déplaça vers le centre de la pièce devenue très calme. Tous les hommes de la scientifique étaient partis, mais il planait toujours une atmosphère particulière, bien plus étrange que lorsque la maison grouillait d’hommes en combinaison blanche. Son esprit tournait à une vitesse incroyable ; des images, des suites d’idées s’y bousculaient, s’y entrechoquaient avec une telle violence, qu’elle commençait à ressentir une petite douleur au niveau des tempes. La présence de la presse, d’informations que les journalistes semblaient détenir alors que rien n’avait dû filtrer de cette maison, ou n’aurait dû filtrer, l’exposition du corps de Christophe Marques, comme s’il s’était agi d’une mise en scène destinée à choquer les esprits de puristes, ou encore à faire du tort à son père, et, à présent, l’apparition d’un agent d’INTERPOL… Tout ceci formait une immense spirale d’idées folles, farfelues, hypothétiques, et, sans même savoir si elle était face à  un meurtre ou à autre chose, Keira devinait qu’elle était à la porte d’une histoire compliquée, d’une enquête à embûches dont elle se serait peut-être bien passée.

 

L’escalier se mit à résonner sous de nombreux pas lourds. Les dernières personnes de la police scientifique, celles qui se trouvaient encore dans les différentes pièces de l’étage, partaient à leur tour. L’une d’elles s’arrêta quelques secondes au niveau de Lemoine et lui murmura quelque chose à l’oreille. Puis il reprit son chemin, portant un étrange sac de sport. Keira eut la brusque envie de l’arrêter et de lui intimer l’ordre d’ouvrir son bagage, mais elle se ravisa par manque de certitude, d’assurance. C’était la première fois qu’elle se retrouvait confrontée à une telle situation, perdue dans un immense brouillard d’interrogations, plus certaine d’être à sa place face à un flic d’INTERPOL, et, bien qu’elle s’efforça, du mieux qu’elle le pouvait, de ne rien laisser paraître, elle se sentait très mal à l’aise et regrettait presque d’avoir envoyé Franck au poste de police de Provins.

 

-          Des circonstances inattendues…, finit-elle par dire à voix très haute, comme pour se redonner un peu d’assurance. Voilà une bien jolie formule, mais qui ne veut rien dire, au fond. Me permettez-vous de vous exposer une théorie ?

-          Je doute que je puisse vous en empêcher, répondit Lemoine.

-          Je ne sais plus vraiment si les hommes qui viennent de partir sont vraiment de la P.S.T ou non, mais je suis certaine qu’ils sont venu à votre demande, ou à celle de votre hiérarchie, ce qui revient au même. Si, comme vous me l’avez dit, vous n’êtes pas ici pour la même raison qui m’y a amené, cela veut dire que la victime ne vous intéresse pas ; donc, c’est son père !...

 

A son tour, Keira essaya de deviner l’effet que produisait ses mots sur Lemoine, mais lui aussi s’était retranché derrière une expression totalement neutre d’émotion.

 

-          Sauf erreur, reprit-elle, vous avez beau être d’INTERPOL, vous n’en êtes pas moins soumis aux lois en vigueur dans les pays où vous intervenez, n’est-ce pas ?

-          Continuez.

-          Donc, en France, pour procéder à une perquisition, sans l’accord de l’intéressé, vous devez obtenir une ordonnance d’un juge. En temps normal, ce n’est déjà pas une chose aisée, mais, là, s’agissant d’une personne de l’importance de Marques…

 

La spirale semblait tourner moins vite, à mesure que Keira exposait sa théorie. En réalité, elle réfléchissait plus à haute voix qu’elle ne s’adressait réellement à Lemoine. Ce dernier l’écoutait en silence et ne pouvait s’empêcher d’admirer l’esprit de perspicacité de cette jeune femme.

 

-          N’ayant pu obtenir cette fameuse ordonnance, poursuivi-elle, vous avez trouvé une bonne excuse pour procéder à votre perquisition en toute légalité, même si cela vous place border line : faire intervenir des agents, supposés être de la P.S.T, sur les lieux d’une mort suspecte !

 

Keira se tut et planta son regard dans les yeux de Lemoine. Même si son sentiment de mal à l’aise n’avait pas totalement disparu, elle se sentait revenue vers une assurance qui lui correspondait bien plus.

 

-          Que pensez-vous de ma théorie ?

-          C’est une belle théorie.

-          Votre regard vous trahit… Je sais, maintenant, que je suis dans le vrai !... Comment avez-vous su ?

-          Su quoi ?

-          Pour le fils Marques ! Comment avez-vous su pour sa mort ? Qui vous a prévenu ?

 

Un applaudissement, en haut de l’escalier, coupa court au questionnement, pour le plus grand soulagement de Lemoine qui commençait à se sentir acculé.

 

 

-          J’adore cette fille ! s’exclama Elise en descendant les marches. Elle a un esprit de déduction qui me fascine depuis que je la connais !

-          Fascinant est le mot juste ! répondit Lemoine en adressant un grand sourire à la légiste.

-          As-tu trouvé quelque chose d’intéressant ? questionna Keira.

-          Non, si ce n’est que l’heure de la mort doit remonter aux alentours de 3 heures du matin. Pour la cause, il va falloir attendre que le corps et moi soyons à l’IML.

-          Bon, mesdames, mon travail étant terminé ici, je vous souhaite une bonne continuation !

-          Je n’en ai pas encore fini avec vous !

 

Lemoine lança un regard noir à la jeune femme ; la nervosité était en train de reprendre le dessus sur son caractère mesuré et cette conversation n’avait déjà que trop duré à son goût.

 

-          Comment avez-vous su ?

-          Demandez-vous, plutôt, comment eux l’ont su ! répondit-il en pointant du doigt la télévision. Pour tout le reste, capitaine Leroy, ce n’est pas votre affaire !

-          Certains des indices que vos hommes ont pu prélever sont mon affaire !

-          Si la mort de votre victime n’est pas due à une cause naturelle, alors votre patron contactera mon patron.

 

Sur ces mots, Lemoine tourna les talons et quitta la maison comme s’il avait soudainement le diable à ses trousses. Dehors, la pluie avait enfin cessé de tomber, mais le ciel restait chargé en nuages épais et menaçants. Arrivé à l’entrée de l’impasse, il s’arrêta et prit une grande bouffée d’air frais, avant de sortir son téléphone de la poche intérieure de sa veste.

 

Keira s’était mise à faire les cents pas, maugréant des choses incompréhensibles, fulminante de rage. Elle finit par stopper devant Elise, qui l’observait avec un œil amusé, et lui aboya presque dessus.

 

-          Pourquoi ne m’as-tu pas dit qu’il y avait un flic d’INTERPOL ici ?!

-          Oh, du calme ma belle, répondit Elise, je ne suis pas ton ennemie ! INTERPOL ? Ce gars est d’INTERPOL ?

-          Tu ne le savais pas ? Il n’était pas là quand tu es arrivée ?

-          Si, mais nous n’avons pas été présentés. C’était bourré de flics ici et je l’ai pris pour l’un d’eux, tout simplement.

-          A quelle heure es-tu arrivée ?

-          Vers 13 heures 30.

-          13 heures 30, répéta Keira pour elle-même. Il faut que j’arrive à faire la chronologie des évènements !... Oui, c’est ça : mettre les choses dans le bon ordre… Il faut que j’appelle Franck !

 

L’accalmie n’avait été que de très courte durée ; à nouveau, un rideau de pluie s’abattait sur Provins, accompagné d’un vent aux rafales par instants puissantes et glaciales.

 

A l’abri dans sa Golf, stationnée Place du 29eme Dragon, face au poste de police, Franck semblait hypnotisé par les grosses gouttes qui s’écrasaient contre son parebrise. Son visage, si dur, paraissait bien plus doux, comme si un ange était venu le caresser et y avait allumé une étincelle d’humanité dans son regard éteint de toute tendresse. Il était songeur, rêveur peut-être, emporté dans un moment de plénitude dû à un afflux de souvenirs venus d’un temps où tout était si simple, si clair, ou le noir était noir et le blanc si magnifiquement limpide.

 

Même s’il était incapable de l’avouer à quiconque, si ce n’est à lui-même, refaire équipe avec Keira ne le laissait pas indifférent. Il avait vraiment beaucoup aimé cette femme, même s’il n’avait jamais su l’aimer, et il l’aimait toujours autant, mais savait que tout espoir d’une seconde chance était exclue. Il avait merdé ; il avait joué au con ; il était con.

 

Il n’avait pas toujours été l’homme qu’il était aujourd’hui. Autrefois, on le considérait même comme un excellent flic, juste et droit, respecté, apprécié, aimé. Un évènement tragique l’avait fait basculer, avait changé le cours de sa vie. Cela ne s’était pas passé soudainement, mais lentement, jour après jour, mois après mois, comme un poison vicieux qui s’immisce dans le sang. Il était devenu de plus en plus violent, intolérant, raciste, s’enfonçant toujours plus profondément dans la noirceur de sa propre âme en se nourrissant de celles des autres. Il était devenu un flic ripou comme bien d’autres avant lui, comme le deviendraient bien d’autres après lui. Le bien et le mal avaient fini par devenir une notion abstraite et les règles un mensonge éhonté. Les seules règles auxquelles ils croyaient encore étaient celles qui l’empêchaient de se faire prendre et il était passé maître dans leurs nombreuses utilisations. Ce que les gens pensaient de lui le laissait totalement indifférent, le faisait même parfois sourire ou rire, mais ce que Keira voyait en lui le blessait profondément. Il aurait aimé la rencontrer bien plus tôt, avant qu’il ne franchisse le point de non-retour. Pendant quelques temps, il avait cru, espérer, pouvoir revenir en arrière, sortir de sa noirceur, revenir à la lumière. Mais cela n’avait été qu’un vulgaire espoir sans lendemain. Elle ne savait pas ce qui l’avait ainsi transformé ; il ne lui en avait jamais parlé… Peut-être aurait-il dû…

 

La lueur, dans le regard, commença à s’effacer ; lentement, Franck revint à la réalité, sa réalité, celle d’une vie dont il avait conscience qu’elle finirait par s’arrêter, un jour ou l’autre, de manière violente. Il prit la feuille de papier, pliée en quatre, qu’il avait glissé dans l’une des poches de sa parka et esquissa un sourire de dépit. Il était venu jusqu’ici pour rien : la femme de ménage était déjà repartie et il n’avait récolté que la copie de sa déposition, un témoignage tenant sur une page et n’apportant aucune information intéressante.

 

 

Les vibrations de son téléphone, dans la poche de son pantalon, le firent sursauter. Lorsqu’il vit s’afficher le prénom, il ressentit comme une étrange chaleur lui parcourir tout le corps. Il n’avait jamais pu effacer Keira de son répertoire ; apparemment, elle non plus.

 

-          Salut, capitaine !

 

Il s’en voulut aussitôt d’avoir dit cela et sur un ton quelque peu agressif. « Tu n’es qu’un con ! », pensa-t-il.

 

-          Dis-moi ce que tu as appris !

-          La femme de ménage était déjà partie. Je n’ai qu’une copie de sa déposition et il n’y a rien de passionnant.

-          Mais encore ?

 

Franck déplia la feuille de papier et entreprit de faire un résumé de la courte déposition.

 

-          Quand elle est arrivée à la baraque, elle a commencé par faire le ménage au rez-de-chaussée. Selon ses dires, il s’est écoulé presque deux heures avant qu’elle arrive à la chambre et trouve le fils Marques.

-          A quelle heure est-elle arrivée ?

-          A neuf heures tapante : c’est l’heure à laquelle elle prend son service, selon ce qui est écrit sur ce rapport.

-          Donc, elle prévient les secours aux alentours de midi…

-          En fait, ce n’est pas elle qui appelle police secours. Il est écrit : j’ai été prise de panique ; j’ai couru à l’extérieur de la maison en criant et je suis tombée sur un homme. C’est cet homme qui a téléphoné au 17.

-          Qui est cet homme ?

-          Aucune idée. Il n’a pas attendu l’arrivée de la police.

-          Curieux, non ?

-          Que quelqu’un appelle les flics et ne les attend pas ? Non, ça n’a rien de curieux. C’est même assez fréquent.

-          Comme s’il avait été au bon endroit, au bon moment, poursuivit Keira sans tenir compte de la réflexion de Franck.

-          Je t’accorde que Provins n’est pas une grande ville, mais ce n’est pas non plus un village désertique. Y croiser quelqu’un, dans la rue, à midi, n’a rien d’extraordinaire !

-          Oui, sans doute.

-          T’es toujours à la baraque ?

-          Oui, mais je vais partir. Ils sont en train d’amener la victime à l’IML… Où habite la femme de ménage ?

-          A Provins, avenue Alain Peyrefitte.

-          Vas-y et tâche d’en apprendre un peu plus sur cet homme, surtout sa description. De mon côté, je vais demander une copie de cet appel à Police Secours.

 

Franck sentait que quelque chose ne tournait pas rond. Keira était tracassée ; elle ne lui parlait pas réellement, mais semblait plutôt réfléchir à haute voix.

 

-          Qu’est-ce qu’il se passe ? finit-il par demander.

-          Je n’en sais rien encore… Je pense que nous avons mis le nez dans quelque chose de pas très clair.

-          C’est toi qui ne l’est pas… claire !

-          Je sais… On en reparle quand on se retrouve au SRPJ.

 

La place du Châtel s’était rapidement vidée avec le départ de l’ambulance transportant le corps de Christophe Marques. La grande majorité des journalistes étaient partis à sa suite et ceux qui étaient encore sur place s’affairaient à remballer leurs matériels. D’ici moins d’une heure, ils se retrouveraient tous devant l’hôpital de Melun, attendant que tombent les informations qu’ils n’avaient pu obtenir jusqu’alors et attendant, tels des charognards, le moment où se présenterait le député Marques.

 

Installé à l’arrière d’un véhicule de la police nationale, Keira regardait défiler lentement la place sous ses yeux. Elle venait de parler avec son patron, par téléphone, et elle l’avait trouvé très étrange, peut-être embarrassé, et, ce, avant même qu’elle ne lui fasse part de sa discussion avec un officier d’INTERPOL. Il avait fini par lui ordonner de rentrer au plus vite au SRPJ.

 

La voiture passa auprès d’un minivan au couleur de BFM TV. Deux hommes terminaient d’y fourrer leurs matériels, tandis que, assise à l’avant, une femme, aux longs cheveux roux ondulants, était suspendue à son téléphone. « Demandez-vous plutôt comment eux ont su… »

En arrivant sur lieux et en découvrant la cohorte de journalistes, Keira avait supposé qu’ils avaient interceptés des communications sur les ondes radios de la police, mais à présent, avec un peu de recul et ce que lui avait lancé Lemoine, comme un message caché, de nouvelles hypothèses germaient dans sa tête.

 

-          Arrêtez-vous !

 

La voiture tout juste arrêtée, Keira en descendit à la hâte et alla frapper à la portière du minivan. La journaliste eut un sursaut qui lui fit lâcher son téléphone, puis, voyant la carte tricolore qui lui était présentée, elle s’empressa de descendre la vitre.

 

-          Oui ?

-          Capitaine Keira Leroy, SRPJ. J’ai quelques questions à vous poser.

-          Voilà qui tombe bien, car, moi, j’en ai des tonnes ! Mais ne restez pas sous la pluie…

-          Je n’ai pas le temps ! coupa sèchement Keira en bloquant, d’une main, l’ouverture de la portière. Comment vos confrères et vous-même avez-vous su ce qu’il se passait ici ?

 

Le sourire qu’avait affiché la journaliste s’estompa sous le ton sévère, mais elle ne se braqua pas pour autant. Elle avait assez d’expérience dans le métier pour savoir combien il pouvait être profitable de collaborer avec la police, encore plus lorsqu’il s’agissait d’un capitaine. Ses yeux noisette se mirent à pétiller de malice.

 

-          Vous savez que je ne suis pas tenue à vous communiquer des infos concernant nos éventuelles sources de renseignements, dit-elle en retrouvant son sourire.

 

Keira n’avait qu’une très faible expérience dans la communication avec les membres de la presse, mais, ne percevant aucune agressivité dans l’intonation de la journaliste, elle devina qu’un terrain d’entente pouvait se trouver entre elles.

 

-          Pour l’heure, lui répondit-elle, je n’ai rien de croustillant à vous communiquer, mais, si vous collaborez, je vous promets de vous avertir, dans la mesure du possible, de l’avancée de l’enquête… si enquête il doit y avoir.

-          Rien de croustillant ? Vraiment ? Pourtant, on dit que le fils du député aurait été retrouvé dans une situation fort peu convenante… pour son père !

-          Peu convenante ? Il est mort ! Quelle convenance ou non convenance peut-on trouver dans la mort ?

-          Vous savez où je veux en venir, n’est-ce pas ?

-          D’où tenez-vous vos sources ? Pas d’un autre flic, autrement vous ne seriez pas en train de discuter avec moi… Répondez-moi, s’il vous plait.

 

La journaliste prit quelques secondes pour réfléchir, ou faire mine de réfléchir, puis elle sortit une carte de visite d’une de ses poches et la tendit à Keira.

 

-          Il y a eu un appel anonyme à l’AFP, dit-elle. Voilà comment nous avons tous été prévenus.

 

Keira lut le nom sur la carte, avant de la fourrer dans la poche arrière de son jean. : Sandrine Avallon.

 

-          L’appel d’une femme ? questionna-t-elle.

-          Non, un homme.

-          Et que dit cet homme ?

-          Exactement, je ne saurais vous le dire : je n’ai pas entendu l’enregistrement. En revanche, la dépêche que nous avons reçue nous expliquait que Christophe Marques venait d’être retrouvé mort, que son cœur n’aurait pas résisté à des jeux sexuels douteux… que la manière dont le corps a été retrouvé ferait rougir son père avec sa bonne morale… Comment son corps a-t-il été retrouvé ?

-          A quelle heure avez-vous été prévenu ? demanda Keira, ignorant volontaire la question de Sandrine.

-          Aux environs de midi et demi.

 

« Trente minutes après que la femme de ménage aurait trouvé la scène macabre, pensa Keira. C’est court, très court… »

 

-          Vous est-il possible d’avoir une copie de cet enregistrement ?

-          Oui, répondit Sandrine, mais il va me falloir quelque chose de votre part en échange !

-          Trouvez-moi cet enregistrement. Je vous appelle ce soir, demain matin au plus tard !

 

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III

            S’étendant sur une partie des 3 ème et 4 ème arrondissements de Paris, sur la rive droite de la Seine, le quartier du Marais, dont on trouve les premiers occupants dès le XIIe, essentiellement des ordres religieux dont le fameux Ordre du Temple, doit son appellation au fait qu’il se trouve dans une ancienne zone marécageuse.

 

            Avec la construction de la Place des Vosges, au début du XVIIe, la noblesse parisienne prend pleinement possession des lieux et y fait construire de nombreux hôtels particuliers, dont beaucoup sont encore debout aujourd’hui. Mais, vers le milieu du XVIIIe, le quartier est peu à peu délaissé au profit du faubourg St Honoré, ou bien encore du faubourg St Germain, où l’élite trouve bien plus d’espace, donc plus de confort. Les quelques derniers propriétaires fortunés, restés au Marais par amour des lieux, sont définitivement chassés après la Révolution française, aussitôt remplacés par des ouvriers et artisans ; les grandes cours intérieures des hôtels particuliers sont détournées, transformées en gigantesques ateliers.

 

            Au XIXe, la ville entame un vaste programme d’aménagements qui, bien que non concerné, touchera en partie le Marais. Bon  nombre d’immeubles de qualités seront détruits, un massacre urbain qui durera jusqu’en 1964, année où André Malraux lancera un programme de sauvegarde du quartier, programme toujours d’actualité au moment où sont noircies ces pages blanches,  mais en cours de révision.

 

            Au fil des années, plusieurs communautés vont venir s’installer dans le Marais, y créant des quartiers dans Le quartier, pour apporter leur contribution à la continuité de l’histoire de ces anciens marécages, parfois dans les rires, parfois dans les larmes, y vivant des époques heureuses, puis des évènements tragiques. Ainsi, durant la première guerre mondiale, la France, qui manque cruellement de bras, demande à l’Empire du Milieu de lui fournir de la main d’œuvre ; des milliers de ressortissants chinois, venus, pour la plupart, de la province du Wenzhou investissent le Marais. De nos jours, leurs descendants, qui ont sans doute oublié leur histoire ou ne l’ont même jamais connu, vivent essentiellement autour de la rue du Maine, où ils  exercent des activités dans le domaine de la bijouterie et de la maroquinerie.

 

 

            Dès la fin du XIXe siècle, et ce jusqu’au milieu du XXe, les juifs ashkénazes vont prendre possession d’un secteur gravitant autour de la rue des Rosiers, apportant avec eux un  savoir incontestable dans la confection et faisant prospérer le quartier, jusqu’à ce que la folie barbare et destructive de l’Allemagne nazie vienne y mettre un triste frein.

 

            Au début des années 1980, une nouvelle communauté fait son apparition et prend ses quartiers autour de la rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie : la communauté gays. Rajoutons à tout cela le quartier des galeries, ayant pris un réel essor après l’ouverture du musée Picasso en 1985, celui des horlogers, et nous obtenons une photographie assez juste de ce qu’est le quartier du Marais aujourd’hui, un lieu redevenu prisé par la classe aisée, avec un bon niveau de fréquentation touristique.

 

            Située au centre du Marais, plusieurs interprétations circulent sur l’origine de l’appellation d’une rue connue depuis 1546 : la rue des Vertus. Si les guides touristiques se plaisent à raconter qu’elle fut nommée ainsi en raison des filles de joie qui y trainaient à une époque, soulignant ainsi le côté ironique d’un paradoxe, il est bien plus probable qu’elle tienne son nom d’un édifice religieux, construit dans le nord du Marais et détruit en 1808, faisant alors référence aux vertus théologales : la Maison du Temple. Toutefois, c’est bien pour faire un pied de nez à la vertu, que Mélissa avait décidé d’ouvrir Le Masque de Titia dans cette rue, son premier club libertin parisien.

 

            Considérée comme la huitième fortune mondiale, selon le très sérieux magazine américain Forbes, Mélissa possédait déjà sept clubs de par le monde : Monaco, Genève, Londres, Washington, New-York, Dallas et, depuis tout juste une semaine, Paris. Néanmoins, elle ne tirait aucune source de profits de cette activité, en tout cas aucun profit financier ; en réalité, elle devait toute sa fortune de la puissante holding dont elle avait hérité de son père, Georges Dawson, une multinationale aux ramifications dignes d’un gigantesque labyrinthe et dont le siège social se situait dans la Tour Nord de Manhattan, avant les tragiques évènements du 11 septembre 2001. Après un passage de quelques mois à Dallas, le siège fut définitivement transféré à Washington D.C, à l’issu d’un vote houleux avec les principaux actionnaires.

 

            Eprouvant une subite envie de marcher, Mélissa avait demandé au chauffeur de taxi qui les transportait, elle et son homme à tout faire, de s’arrêter à l’angle de la rue des Gravilliers ; de cet endroit, il est possible de rejoindre la rue des Vertus par une voie piétonnière. Cela n’avait pas du tout été du goût de Mickael qui avait déjà estimé que prendre un taxi était une idée stupide et risquée, une idée qu’il avait tenté, sans succès, de retirer de l’esprit de sa patronne ; à présent, elle souhaitait se déplacer à pied, dans un lieu qui n’avait préalablement pas été sécurisé et avec lui seul pour garde du corps ? Plus qu’insensée, cette décision présentait un risque potentiellement élevé, mais, tout comme pour le taxi, il n’avait pu la faire changer d’avis.

 

            De par le simple fait de sa fortune, de ses activités, Mélissa était une cible constante pour certains rapaces envieux, mais, depuis quelques temps, il planait une menace différente au-dessus de sa tête, une menace bien plus sournoise, plus dangereuse car couvant au sein de personnes très puissantes. Ces derniers mois, le système ingénieux de protection qu’elle s’était construite au fil des ans, semblaient de désagréger lentement, mais sûrement ; beaucoup commençait à se poser des questions quant à sa force de frappe réelle ; quelques-uns osaient avancer le fait qu’elle ne disposait pas de cette arme dont elle se vantait et qui mettait de nombreux puissants de ce monde à ses pieds. Aucuns n’avaient pas encore osé franchir le pas ultime, mais Mickael savait que le doute s’était installé et que le doute finit souvent par être très ravageur. De plus, Mélissa avait fini par lui parler de la teneur du coup de fil qu’elle avait reçu et les idées s’étaient très vite alignées dans son esprit, lui ouvrant le chemin sur deux conclusions possibles : soit quelqu’un cherchait à piéger le député Marques, soit on voulait s’en prendre à sa patronne. Quelle que soit la bonne conclusion, il ne lui faisait aucun doute que cette mort était tout, sauf accidentelle, et il y avait un fil conducteur qui menait à sa patronne : Liliane. Il lui tardait de se retrouver en tête-à-tête cette Liliane pour la faire parler, car il était évident qu’elle n’avait pas dit toute la vérité au flic chez qui elle s’était réfugiée. 

 

            Enveloppée dans un trench beige foncé qui lui tombait au niveau des genoux, d’où démarrait le cuir noir de longues bottes à talons hauts, et d’un chapeau à large bord et fort distingué sur la tête, Mélissa marchait de façon nonchalante, un petit sourire au coin des lèvres. A chacun de ses pas, les pans de son trench s’ouvraient sur l’intérieur de ses cuisses dénudées et plusieurs passants s’arrêtaient sur son passage, enchantés par les claquements légers des talons sur le pavé, émerveillés par les courbes du corps de cette inconnue, que son vêtement de pluie épousait à la perfection. Parmi ces passants, certains se demandèrent si elle portait une jupe ultra-courte, ou bien si elle était nue sous son trench ; quelques-uns eurent envie de l’accoster, mais se ravisèrent en croisant le regard glacial de Mickael qui marchait quelques mètres derrière elle.

 

            A première vue, ce dernier donnait l’impression de ne regarder que droit devant lui. Pourtant, si on le lui avait demandé, il aurait pu décrire toute les personnes qui se promenaient sur cette voie piétonnière. Malgré une apparence détachée, il était extrêmement concentré sur l’environnement dans lequel il évoluait, traçant mentalement une ligne de survie autour de sa patronne, une frontière invisible que personne ne devait franchir. Jusqu’à là, la simple expression de son regard suffisait à maintenir éloigner les gêneurs, mais, si le besoin se faisait sentir, il n’aurait aucun scrupule à sortir son Beretta 9mm Parabellum, dont il ressentait le poids sur sa hanche comme une présence amicale, rassurante.

 

            Toujours extrêmement chargé en nuage, le ciel, au-dessus de Paris, s’assombrissait de plus en plus. La nuit tombait sur un temps redevenu sec depuis une bonne heure, mais dans une atmosphère fortement chargée en humidité et qui donnait une sensation désagréable à celles et ceux qui se promenaient, leur faisant ressentir un froid sans doute plus important qu’il ne l’était vraiment.

 

Les mains enfoncées dans les profondes poches de son trench, Mélissa semblait ignorer l’humidité, tout comme elle ne paraissait pas voir ceux qui se tournaient sur elle et qui se détournaient brusquement en apercevant son garde du corps. Tête bien droite, le menton haut, elle avançait le regard dans le vague, avec une lueur de tristesse au fond des yeux qui contrastait avec le sourire en coin qu’elle affichait en permanence. Depuis qu’elle était montée dans ce taxi, elle ne cessait de revoir des bribes de sa vie, comme une personne se sachant condamnée, des tranches de sa vie sous formes de scénettes se succédant à grande vitesse : la petite fille, si heureuse, sautant sur les genoux de son père, l’adolescente, si insouciante, volubile et extravertie, ses années de pensionnats, puis cette date fatidique qui lui avait fait prendre un tournant dans sa vie, qui avait mis fin à tous ses rêves de jeune fille et qui l’avait fait devenir la femme qu’elle était aujourd’hui, un virage sec au lendemain du 11 septembre 2001.

 

            La jeune Mélissa Dawson, qui n’avait pas encore 18 ans, venait de faire sa rentrée scolaire, pour la deuxième année consécutive, dans un pensionnat pour jeunes filles de bonnes familles, dans la campagne Suisse, à quelques kilomètres de Genève. L’établissement semblait sortir d’un autre monde, coupé de l’extérieur : la télévision était inexistante, l’internet réduit à une connexion d’une heure chaque samedi et les journaux et magazines divers étaient strictement contrôlés. Une fois par mois, les pensionnaires retrouvaient le monde « civilisé » lors d’une permission de sortie de huit heures qui leur permettait de se rendre à Genève. Une vie plutôt austère pour une adolescente, direz-vous, sortie tout droit d’un autre temps et sans doute aurez-vous raison, mais Mélissa avait été heureuse de retrouver ce pensionnat car, l’année précédente, elle y avait rencontré une camarade avec qui elle avait lié un lien très fort, un peu comme si elle avait trouvé la sœur, ou le frère, qu’elle n’avait jamais eu et n’aurait jamais.

 

            Les deux adolescentes n’avaient pourtant pas grand-chose en commun. Aussi blonde que sa camarade était brune, Mélissa, nous l’avons dit, était une adolescente très extravertie, très libérée dans différents domaines de sa vie. Même si elle était loin de ressembler à la femme qu’elle était devenue aujourd’hui, déjà, à cette époque, elle affectionnait les plaisirs du sexe qu’elle avait découvert, le soir de ses 15 ans, dans les bras d’un garçon de dix ans son aîné. Par la suite, elle avait collectionné les aventures sans lendemain avec des garçons plus ou moins âgés, mais aussi avec quelques filles, certaines du pensionnat, en se moquant totalement de tous les bruits qui circulaient à son sujet et de la réputation que lui prêtaient certaines de ses camarades. Cependant, derrière cette insouciance apparente, elle cachait une souffrance, un mal être.

 

 

Sa mère était décédée, dans un accident d’avion, alors qu’elle n’avait que 13 ans et, de ce jour, son père n’avait cessé de l’inscrire dans des écoles et pensionnats loin de lui, loin des Etats-Unis d’Amérique, sous le nom de jeune fille de sa mère, Schneider, et sous son deuxième prénom, Laetitia. Les consignes de son père étaient précises : personne, sous aucun prétexte, ne devait savoir qui elle était réellement. L’adolescente souffrait beaucoup de cet exil forcé et ce n’est que bien plus tard qu’elle comprit que son père avait fait tout ceci pour la mettre à l’abri, pour la protéger, comme elle comprit que l’accident qui avait emporté sa mère n’était pas un accident.

 

            Son amie menait une vie bien plus calme et, surtout, très chaste : à l’aube de ses 18 ans, elle n’avait pas encore connu sa première fois. Sa famille était aisée, mais pas riche à l’excès. Melissa se souvenait que ses parents avaient dû faire de gros sacrifices pour l’envoyer, deux années de suite, dans ce pensionnat, austère, certes, mais d’un grand standing. En revanche, elle n’arrivait pas à se rappeler pourquoi ils l’y avaient envoyée ; elle lui avait pourtant expliqué, mais ce détail ne faisait pas partie du grand montage de ses souvenirs ; sans doute n’avait-il aucune espèce d’importance.

 

-          Tout va bien, madame ?

 

Mélissa sursauta comme on peut le faire lorsque l’on est brutalement tiré d’un état de somnolence, ou de rêverie. Dans la vitrine de la boulangerie, devant laquelle elle s’était arrêtée s’en même s’en rendre compte, elle aperçut le reflet anxieux du visage de Mickael.

 

-          Oui, Mike, tout va bien.

-          En êtes-vous sûre ? Je vous sens… absente !

-          Je suis perdue dans mes souvenirs, répondit-elle sur un ton évasif. Des souvenirs d’une autre vie, ajouta-t-elle pour elle-même, où je me sentais heureuse… je crois… Il fait froid ; allons-nous mettre vite au chaud !

 

Les sept clubs de Mélissa étaient construits et aménagés à l’identique, ceci dans le but d’offrir les mêmes repères à quiconque se rendrait dans plusieurs de ses établissements. Pour ménager les susceptibilités des riverains, les façades étaient très sobres et se fondaient parfaitement dans le décor de l’avenue, rue, ruelle ou place où se situait le club. Seule l’enseigne lumineuse laissait à penser que nous nous trouvions devant un lieu particulier ; lorsqu’elle s’allumait, le nom de l’établissement s’affichait en grandes lettres calligraphiées, dans un mélange de leds bleus et pourpres. Sur le côté droit, légèrement surélevé par rapport au reste de l’enseigne, figurait un masque vénitien en lumière argentée et dorée. La grande porte principale, à deux battants et en arc-de-cercle, était taillée dans un épais blindage imitant à la perfection le vieux bois massif. Sur l’un des battants, à hauteur de visage, on distinguait à peine le petit volet qui s’ouvrait et se fermait de l’intérieur et qui permettait au vigil de vérifier l’identité des personnes désirant entrer.

 

Le Masque de Titia n’était pas un club libertin ouvert à tout le monde. La clientèle était triée sur le volet. On y croisait des célébrités, stars du foot, de la télé, du cinéma, mais aussi des hommes et des femmes d’affaires richissimes, tout comme des personnalités influentes, des politiques, des ambassadeurs, et aussi des personnes encore plus puissantes. L’usage du préservatif était, bien entendu, obligatoire, mais aussi le port d’un masque qui, au minimum, devait recouvrir le visage jusqu’à la pointe du nez, règle également applicable à l’ensemble du personnel. Il était évident que bon nombre de personnes devaient se connaître, mais il était hors de question de déroger à cette obligation, excepté dans le Salon d’Eros, une pièce fermée, à l’écart, où accédait seulement l’élite de l’élite, avec l’accord de Mélissa. Les réservations étaient faites via une boîte mail spécialement dédiée à cet effet et les réponses, qu’elles soient positives ou négatives, étaient rendues dans un délai d’un mois.

 

  A un peu moins de trois heures de l’ouverture, l’enseigne lumineuse était encore éteinte et l’accès au club se faisait, pour le personnel, par une petite entrée de service commandée par un digicode et continuellement surveillée par deux caméras. En passant devant le local où logeaient une multitude d’écran de surveillance, Mélissa adressa un large sourire aux deux agents de la sécurité, puis elle prit l’escalier qui menait à l’unique étage où se trouvaient le vestiaire du personnel et deux bureaux, dont l’un lui était constamment réservé. Ce dernier était aussi fermé par un digicode dont elle seule avec la combinaison.

 

La pièce, d’environ 20m2, était compartimentée en deux parties distinctes. L’une comportait un bureau au large plateau en verre épais, un fauteuil en cuir noir aux accoudoirs en bois d’acajou, et trois chaises au  look futuriste. L’autre, plus intime, était composée d’une coiffeuse, d’un tabouret à trois pieds, au siège matelassé de rouge, et d’un petit dressing.

 

Melissa se défit de son trench, qu’elle jeta négligemment sur le dossier de l’une des chaises, puis s’installa dans le fauteuil en cuir. Les passants de la voie piétonnière, s’ils avaient pu se trouver dans cette pièce, auraient eu leur curiosité agréablement satisfaite en découvrant que l’inconnue ne portait rien de plus, sous son vêtement de pluie, que des dessous affriolants. Elle jeta un œil sur la pendule murale et estima qu’il lui restait encore suffisamment de temps pour s’apprêter pour la soirée à venir, assez pour en perdre encore un peu à se replonger dans ses souvenirs.

Cela faisait bien longtemps qu’elle n’avait plus pensé à son amie du pensionnat suisse, en tout cas, pas au point d’en être nostalgique, pas au point d’éprouver un étrange sentiment de manque. Pourquoi aujourd’hui ?

 

Comme cela a été écrit plus haut, un lien très fort s’était tissé entre les deux adolescentes. Cela s’était produit quasiment du jour au lendemain. Le premier mois de la rentrée 2000, elles avaient conservées une certaine distance entre-elles, cependant elles se cherchaient régulièrement du regard, comme poussées par une force invisible. Ce fut au cours de la première sortie à Genève que le rapprochement avait eu lieu et, de ce jour, elles étaient devenues inséparables, à tel point que Mélissa avait demandé à la directrice de l’établissement, la seule personne à connaître la véritable identité de Laetitia Schneider, de les loger dans la même chambre ; la puissance financière de Dawson avait beaucoup influé sur la décision de la directrice.

Mélissa avait rapidement eu une confiance absolue en sa nouvelle camarade, ne conservant que pour seuls secrets, tout ce qui tournait autour du nom de Dawson : même pour son amie, elle était toujours restée Laetitia, Titia, comme celle-ci se plaisait à l’appeler.

 

 

Elle n’avait jamais compris pourquoi elle se trouvait si quelconque, inintéressante, sans charme, comment elle pouvait ignorer le regard que lui portait les garçons lorsqu’elles allaient en ville. Certes, elle ne savait ni se coiffer, ni se maquiller, ni même s’habiller, mais elle était d’une beauté indéniable, presque sauvage, une beauté d’adolescente, encore, mais qui annonçait déjà la venue d’une femme magnifique. A cela, venait se rajouter une intelligence incroyable, un esprit de déduction stupéfiant. Elle avait toujours su que Mélissa lui cachait quelque chose sur elle, sur sa vie, sur ses parents ; souvent, elle lui répétait qu’elle trouverait un jour ce qui se cachait derrière le masque de Titia, mais elle était bien trop respectueuse de son amie pour aller là où cette dernière ne souhaitait pas aller.

 

-          Qu’as-tu bien pu devenir ? murmura Mélissa d’une voix songeuse.

 

Les deux amies s’étaient vues, pour la dernière fois, au petit matin du 12 septembre 2001. Confortablement calée dans son fauteuil, la tête légèrement renversée et les yeux clos, Mélissa ne put s’empêcher de sourire en se souvenant de la tête qu’avait faite la surveillante en poussant la porte de leur chambre et en les trouvant toutes deux dans le même lit, entièrement nues. Ce fut son ultime moment de bonheur avant que sa vie ne bascule. Elle se rappela avoir trouvé étonnant que la surveillante ne fasse pas la moindre réflexion sur l’incongruité de la scène qu’elle découvrait. « Habillez-vous, mademoiselle Schneider, s’était-elle contentée de dire. La directrice vous attend dans son bureau. ». Moins d’une demi-heure plus tard, Mélissa avait la réponse à son étonnement. La voix de la directrice, comme venue d’outre-tombe, résonna dans la pièce.

 

« Hier matin, peu avant 9 heures, heure de New-York, il s’est passé une chose horrible, innommable. Deux avions de ligne, détournés par des terroristes, se sont écrasés sur les tours jumelles du World Trace Center… Les victimes se comptent par millier… Tard, cette nuit, j’ai reçu un appel d’un associé de votre père… Mademoiselle Dawson, vous devez rentrer immédiatement à New-York… Je n’ai pas de mots pour vous dire combien je suis sincèrement désolée par l’évènement tragique qui vous frappe. »

 

Mélissa ouvrit les yeux et fixa un point invisible au plafond. Pourquoi diable tous ces souvenirs affluaient-ils ainsi, aujourd’hui, sans raison ? Le 11 septembre 2001 aurait dû être un tendre souvenir ; avec quelques heures de retard, il était devenu un cauchemar s’associant à nuit d’amour.

Si la surveillante avait trouvé les deux adolescentes dans le même lit au petit matin, c’est qu’il s’était passé quelque chose de particulier dans la nuit du 11 au 12 septembre. Beaucoup plus tard, avec le recul, Mélissa avait réalisé que cet évènement coulait finalement de source, tant sa complicité avec son amie était forte, tant elle allait bien au-delà d’une simple amitié. Elle ferma à nouveau les yeux et s’efforça de chasser le souvenir douloureux de la directrice, pour se concentrer sur celui de la nuit qui l’avait précédé.

 

Mélissa aimait beaucoup discuter avec sa camarade bien après l’extinction des feux. En fait, c’était surtout elle qui parlait, de tout et de rien, souvent de ses aventures sexuelles, un peu à la manière d’une pécheresse se confiant à son prêtre dans l’intimité d’un confessionnal. Elle aimait l’imaginer rougir dans l’obscurité de leur chambre, riait en l’entendant faussement s’offusquer.

 

« Comment peux-tu faire l’amour avec des filles et, qui plus est, dans le pensionnat ?

« C’est bien, c’est doux une fille… Et puis, je n’ai trouvé aucun garçon ici !

« Pourtant, tu les aime, les garçons, non ?

« Et après ? L’un n’empêche pas l’autre ! »

 

Presque toujours, leurs conversations se terminaient dans des rires étouffés, souvent gênés, puis les deux amies finissaient par s’endormir.

 

 

Le soir du 11 septembre, Mélissa n’avait pas eu envie de discuter. Elle se rappelait avoir été nerveuse tout au long de la journée, irritable, sans jamais avoir compris pourquoi. Etait-ce là une sorte de prémonition du choc qu’elle allait recevoir le lendemain matin, ou bien un simple gros coup de fatigue ? Toujours est-il que, dès qu’elles eurent éteints leurs lampes de chevet, Mélissa s’était murée dans un silence inhabituel, sans pour autant arriver à trouver le sommeil. Elle se souvenait, comme si cela s’était passé la veille, combien elle s’était tournée et retournée sous sa couette, regardant régulièrement les minutes qui défilaient sur son réveil digital. A deux heures du matin, elle s’était décidée à tenter de se détendre en se donnant du plaisir. Son amie dormait profondément, du moins le pensait-elle. Ce n’était pas la première fois qu’elle se caressait dans la chambre, le plus dur étant de se faire la plus discrète possible lorsque l’orgasme la saisissait.

 

Bien avant de perdre sa virginité, la jeune Mélissa avait appris à jouer avec son intimité, à la caresser de manière à faire lentement monter son plaisir, à se faire languir, toute à l’écoute de son corps. Elle sortait souvent de ces séances avec les doigts fripés par la cyprine abondante qui coulaient entre ses lèvres, mais, ce soir-là, elle n’avait pas eu envie de faire traîner les choses ; elle avait voulu en finir au plus vite pour trouver, enfin, le repos de l’âme. Les deux mains sous la couette, l’une s’activant sur son clitoris tandis que les doigts de l’autre s’agitaient dans son antre, elle avait rapidement ressenti les premiers picotements agréables, ceux qui précèdent les premières ondées qui réchauffent si merveilleusement toutes les parties du corps.

 

Mélissa esquissa un nouveau sourire en se souvenant des efforts qu’elle avait fait pour contrôler les mouvements désordonnés de son corps entrant en fusion, pour étouffer au mieux ses gémissements… et tout ceci en vain. Alors que l’ultime vague s’apprêtait à se soulever dans ses reins, son amie avait brusquement allumée sa lampe de chevet. Elle ouvrit les yeux et quitta son fauteuil pour se rendre à la coiffeuse. Elle s’assit sur le tabouret et observa son reflet dans le miroir ovale. Elle trouva ses traits tirés et son regard, d’un gris si lumineux d’ordinaire, lui parut terne, comme éteint. Puis son image s’effaça doucement pour laisser apparaître, comme dans un fondu enchaîné, la petite chambre obscure du pensionnat.

 

Surprise, Mélissa n’en avait pas moins atteint ce qu’elle appelait le point de non-retour. Elle avait fixé le regard de son amie et avait laissé exploser son orgasme sans plus aucune retenue, une jouissance dont l’intensité avait été plus forte que ce qu’elle avait prévu, sans doute décuplé par le plaisir d’être observée par sa camarade. Une fois que ses sens se furent apaisés, elle avait quitté son lit pour s’approcher de celui de son amie qu’elle regardait sous un nouvel aspect. Cette dernière n’avait pas dit un mot, se contentant de la fixer dans les yeux en osant à peine respirer. Mélissa se souvint combien elle l’avait trouvé incroyablement séduisante à cet instant, terriblement irrésistible. Elle avait vu flotter, dans son regard, un mélange de stupeur, peut-être un peu de peur, avec un désir profondément enfoui, inavoué, inavouable.

 

 

Comme cela a été dit, Mélissa n’en était pas à sa première expérience lesbienne, mais jamais auparavant, pas plus que plus tard avec les autres femmes qu’elle allait rencontrer, elle n’avait connu de tels plaisirs que lors de cette nuit du 11 septembre ; sans doute était-ce dû au fait que le sexe n’avait pas été le seul élément de symbiose entre les deux adolescentes.

 

Sans dire un mot, et avec une extrême précaution, Mélissa avait fait glisser la couette jusqu’aux pieds de son amie. Cette dernière portait une horrible nuisette blanche et une culotte, pas très féminine, de la même couleur, mais elle aurait pu être fagotée dans un sac à patates, qu’elle aurait continué à la trouver fortement désirable. Elle s’était agenouillée pour s’approcher de ses chevilles, fines et délicates, qu’elle avait embrassées du bout des lèvres. Aussi loin que remontaient ses souvenirs, elle ne se rappelait pas avoir été un jour autant intimidé, ni avant, ni après cet épisode, avoir autant craint de se faire brusquement repousser, rejeter. Puis elle s’était peu à peu enhardie, avait fait courir ses mains sur les longues jambes lisses, les avait caressées, massées, jusqu’au moment où elle avait senti les premiers frémissements de la peau sous ses doigts.

 

Les deux jeunes filles n’avaient pas prononcé le moindre mot ; elles avaient à peine osé croiser leurs regards. Mais, à sa respiration plus courte, à son souffle plus prononcé, plus fort, Mélissa avait su que son amie appréciait ce qu’elle lui faisait. Et puis, s’il lui était resté le moindre doute, l’auréole humide, qui s’était dessinée sur la vilaine culotte blanche, l’aurait définitivement chassé.

 

Les coudes appuyés sur le plateau de la coiffeuse, le menton reposant sur le dessus de ses mains jointes, Mélissa ferma une nouvelle fois les yeux et prit une profonde inspiration ; elle eut la nette impression que l’odeur de son amie flottait dans la pièce, autour d’elle, tout comme elle crut entendre ses gémissements étouffés.

 

Elle n’avait opposé aucune résistance lorsque Mélissa avait fait glissé sa culotte jusqu’à ses genoux, mais avait longuement frémi lorsque cette dernière avait approché ses lèvres de sa vulve broussailleuse. Mélissa se souvint qu’elle s’était promise de lui montrer comment faire de cette forêt vierge une jolie prairie accueillante, propice à s’y promener, à s’y perdre. Puis elle lui avait doucement écarté les lèvres et s’en était approchées suffisamment pour recueillir, du bout de la langue, les premières perles de la rosée féminine. Le long soupir qui en avait résulté résonna dans sa mémoire. Elle ouvrit les yeux et s’aperçut alors qu’ils étaient humides ; dans le reflet du miroir, elle observa la larme qui roulait sur sa joue en se souvenant des doigts qui étaient venus se perdre dans sa chevelure, pour s’en saisir avec une certaine brutalité. Elle s’était alors enfin collée à cette vulve encore inexplorée, à ce jardin secret qui n’avait jamais connu d’autres visites que celles des doigts, plus ou moins habiles, de sa propriétaire. Elle avait fondu sur le clitoris, l’avait léché, sucé, l’avait senti durcir, grossir, sous l’agilité de sa langue et elle s’était enivrée de la symphonie érotique que lui avait jouée son amie, jusqu’à la note finale, celle de la belle et grande explosion des sens.

 

Durant toute cette courte nuit, les deux jeunes filles s’étaient découvertes sous un nouveau jour et s’étaient aimées à plusieurs reprises, avec cette fougue, cette passion innocente, quelque peu naïve, dont seuls les adolescents ont le secret. Mais, bien au-delà du plaisir sexuel, il s’était passé bien des choses entre elles, un feu d’artifice d’émotions dont aucune d’elles n’avaient réellement saisi le sens. Au petit matin, la porte de leur chambre s’était ouverte et Mélissa avait dû prendre un chemin qui l’avait jeté dans un gouffre sans fond.

 

Une autre larme coula, suivi d’une autre, puis encore une autre. Seule, face à son image dans le miroir, elle commençait à comprendre pourquoi tous ces souvenirs ressurgissaient aussi brutalement, sans qu’elle puisse en avoir le contrôle. Le monde qu’elle s’était construit, par la force des choses, ce monde où elle était crainte, haïe, qu’elle détestait avec tant de force, ce monde était sur le point de s’effondrer. Elle ignorait quand et comment cela allait se produire, tout comme elle ignorait ce qu’il allait advenir d’elle, mais elle sentait que tout allait bientôt se terminer. Voilà pourquoi elle revivait sa vie, telle une condamnée à qui il ne reste plus que quelques heures à vivre. Curieusement, elle n’éprouvait aucune crainte, mais plutôt un grand soulagement. Son seul regret, toutefois, était de n’avoir jamais rien fait pour tenter de retrouver sa seule et unique amie, la seule personne qui, aujourd’hui encore, tenait une place importante dans ce qu’il lui restait de cœur.

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