Thémis et Orina
Thémis tendit la main en direction d’Orina. La jeune fille née esclave dix-huit ans plus tôt et libérée la veille abandonna sa paillasse, acceptant l’invite. Un véritable dîner ajouté à une complète nuit de sommeil pansait déjà quelques plaies de son esprit animé par la juvénile nécessité d’accorder sa confiance à nouveau. Qui mieux que celle dont la flèche avait percé le cœur de son bourreau méritait sa foi ?
Les gestes de la fille de Lysippé en parfaite harmonie avec les eaux calmes du Thermodon se voulaient emprunts de douceur et de patience. Elle dévêtit Orina de sa tunique crasseuse et l’amena à l’endroit du fleuve qui permettait de s’immerger sans perdre pied. Le courant, qui en cette période du solstice d’été entrainait dans son sillage une bienfaisante chaleur, se mit à l’ouvrage sans attendre.
– Tu n’avais point l’occasion ou la permission de te laver ? s’enquit Thémis en nettoyant doucement le résultat de mois, voire d’années, de négligence.
– Si mais… hésita Orina. Je ne voulais pas car la propreté s’apparentait à un sort cruel. La saleté ôtait aux hommes le désir de jouer de mon corps.
La crasse terreuse se dilua, et Thémis frémit de surprise à la découverte de la nature profonde de sa protégée. Elle avait immergée une souillon de terre grise recouverte, les eaux du Thermodon lui rendaient une fille d’une troublante beauté irréelle, dont la blondeur des cheveux mi-longs mal coupés capturait les éclats du soleil. Jamais, de sa Macédoine natale aux confins de la partie orientale de l’Asie Mineure, Thémis n’avait pu admirer pigmentation capillaire aussi semblable à l’or de ses bijoux.
– Par Vénus qui doit pleurer de jalousie sur le Mont Olympe ! Nos poètes narraient ces femmes du grand nord à l’étrange beauté, je ne pensais pas en découvrir une dans une contrée qui nous voit toutes naître brunes ou pour le moins châtain foncé. Connais-tu tes origines ?
Orina, dont l’absence de confiance se diluait dans l’eau telle vulgaire poussière, poussa un soupir amène.
– Ma mère me portait déjà en son ventre au cruel instant de se voir arrachée à l’affection des siens par des aventuriers. Elle est morte trop tôt pour révéler mon histoire quand je fus en âge de retenir ses leçons.
Embarrassée par les frissons de sa protégée, Thémis la tira du fleuve afin de la sécher sur la berge. Ce faisant, elle ne sut détacher son regard des courbes fines dont la joliesse la ravit. Ainsi débarrassée de la souillure, Orina laissait apparaître une nature mince et souple là où ses congénères du sud arboraient des formes pulpeuses. À 18 ans elle en paraissait 15 à peine, comme si la nature se refusait à continuer son ouvrage.
Thémis entreprit de sécher la jeune fille à l’aide d’un carré de lin découpé dans un drap. Les petits seins durs frémirent sous les doigts caressant, les pointes fines s’allongèrent au milieu des minuscules aréoles. Le ventre se creusa au passage dans un réflexe de contentement, faisant ressortir l’enflure du mont de Vénus le bien nommé recouvert d’une toison dorée.
Orina ondula sous la douceur gestuelle sans quitter du regard sa jeune bienfaitrice. Une tension se faisait jour, prenant sa source dans l’immortel besoin d’amour et de tendresse. Elle entreprit de pousser Thémis dont la main s’attardait trop à son goût sur son bas-ventre bombé et jeta au loin le carré de tissu trempé. La jeune fille guida les doigts inconnus jusqu’à l’entrée secrète de son réceptacle.
L’une caressant et l’autre caressée s’adonnèrent à ce rituel gravé dans le marbre de Lesbos par Sappho elle-même, qui ouvrait aux femmes la possibilité du plaisir.
Thémis souffrit mille martyrs avant de s’autoriser à laisser sa bouche parcourir le corps nerveux livré à ses soins, dont les muscles durcirent encore sous la sollicitation amoureuse. À aucun moment elle ne ferma les yeux, pas même à l’instant de boire la sève à la vasque de son amante.
Pour la première fois, Orina accepta son rôle de soumise. Le plaisir offert par une langue féminine remplaçait la douleur imposée par un phallus conquérant. Elle se laissa aller sans retenue à une jouissance salvatrice.
Main dans la main, les jeunes filles arpentèrent en riant les ruelles du cœur de la cité qui sortait maintenant de terre à la place des tentes originelles. Les maisons à étages sans faste particulier se voulaient accueillantes, certaines équipées en dortoirs ou d’autres cloisonnées en chambres particulières, que les goûts de chacune en matière de compagnie nocturne fussent respectés. La plupart cependant réservaient au rez-de-chaussée un espace vide qui servirait d’étal à la commerçante ou d’échoppe à l’artisane quand le temps de la construction serait achevé.
– Comment est-ce possible ? s’émerveilla Orina. La force des femmes est par trop limitée en regard de celle des hommes pour édifier telles solides bâtisses.
– La force oui, répondit Thémis dans un rire léger comme un souffle éolien à l’époque de la floraison. L’ingéniosité se veut notre alliée là où la musculature fait défaut, et les bras ne manquent pas. Nous étions cent cinquante à notre arrivée avant la neige. Aujourd’hui plus de mille femmes s’activent dans la joie.
– Moi aussi je veux aider…
La fille de Lysippé n’aurait su mettre en doute la parole de sa protégée. Elle caressa sa joue avec une tendresse adroite eut égard à l’étrangeté comme à la nouveauté des sentiments qui animaient son cœur depuis ce matin. Car Thémis ressentait en son sein ce curieux phénomène que les poétesses apparentaient à la découverte de l’amour.
– Et tu le feras quand tu auras repris assez de forces.
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