Le campement
L’Asie mineure, du moins dans sa partie baignée par la Mer Noire, recélait nombre trésors en fruits et céréales. Aussi Lysippé ne se préoccupait guère de savoir comment nourrir sa troupe. Partie avec pour unique compagnie ses cinq enfants quelques semaines plus tôt, la princesse macédonienne entraina bientôt cent cinquante filles et femmes dans son sillage. Filles mères délaissées, veuves, prisonnières libérées du joug des hommes, douées dans le domaine de la couture ou de l’artisanat ou de la chasse ou de la construction ou encore de l’agriculture, toutes suivaient l’entrainement au combat prodigué par Hélène et ses sœurs.
Il eut été trompeur de croire que la route fut aisée jusqu’aux abords du fleuve Thermodon, là où la troupe venait de prendre ses quartiers pour la nuit. Une horde d’hommes, tel des loups affamés en période de rut, harcelait le groupe avec une assiduité astreignant les femmes à connaître l’art de la guerre dans les temps les plus brefs. Par chance, les mâles dans leur avidité ne savaient s’entendre et attaquaient en petites bandes désorganisées vite mises en déroute.
Quelques lieues après Amisos, qu’on ne nommait pas encore Samsun, autour d’un des feux Hélène prit Lysippé au dépourvu.
– Mère, vous savez que je suis proche de Amapola…
– Proche me semble à peine approprié mon enfant. Qu’as-tu à me demander qui réclame autant de sérieux de ta part ?
– Comme nous allons fonder un peuple sans hommes sous votre sage gouverne, continua Hélène, vous serait-il possible de nous permettre de vivre ensemble ? Les sentiments qui nous lient se sont renforcés et…
Bien sûr les regards de ces deux-là n’avaient échappé à l’attention de Lysippé, pas plus que la tendresse de certaines paroles entendues ni la douceur des gestes entraperçus. Eut-ce été faire affront à Aphrodite que de permettre telle union ?
– Ma fille, de loin la plus sage d’entre nous, la beauté de vous voir ensemble ne saura offenser personne en cette assemblée. L’humain ou la divinité qui osera me contredire goûtera à ma colère. Aime cette femme au grand jour, et puisse l’éclat de votre amour briller sur notre destinée.
Au grand jour oui, cependant Hélène n’allait pas attendre le lendemain afin de célébrer la chair de son amante. Elle s’empressa de la rejoindre dans le petit renfoncement rocheux qui leur servait de nid à l’écart des regards indiscrets.
Amapola ne demanda rien, emporté dans un tourbillon fiévreux, et fit glisser la robe de lin de sa maîtresse. Elle caressa du regard la silhouette longiligne du cou gracile aux seins menus tendus et fiers, suivit le dessin du ventre musculeux sans excès percé en son centre d’un nombril profond, se perdit dans la toison brune en triangle semblable à la pointe d’une flèche qui recélait le berceau de la vie et de la féminité.
Puis ses mains et sa bouche partirent à l’assaut de la forteresse déjà livrée à son pouvoir. Le sel de la peau laiteuse sous sa langue accrut son appétence à honorer son amour sur l’autel d’Aphrodite. Jusque-là Amapola avait reçu, se contentant de remercier sa bienfaitrice de quelques caresses certes dosées avec une science innée à toute femme, mais trop timides pour lui offrir davantage qu’un évasif plaisir. Ce soir, elle voulait marquer l’âme d’Hélène de son empreinte. Nulle hésitation au moment de s’abreuver à la source intime de son aimée, Amapola se fourvoya dans les nymphes délicates à la fragrance subtile.
Hélène ne tenta nul geste qui put rompre le charme. Sa soumission au contraire la ravissait. Son corps réagissait à la moindre sollicitation, le délice des baisers et des caresses mêlées ne cessaient de la surprendre. Ainsi son amante l’aimait au point de faire de ses mains et de sa bouche le prolongement de son cœur. La crainte de s’extasier trop tôt incitait la princesse à tenir la bride de son instinct comme on maitrise la fougue d’une jument. Et la nature est ainsi faite que la science amoureuse nouvelle de l’une vainquit la résistance relative de l’autre au bout d’un long moment.
Le corps d’Hélène se détendit dans un spasme de la tension suprême, délivrance ambivalente qui entraina son esprit sur la voie céleste de la félicité. Ainsi jouir c’était un peu mourir, rejoindre les étoiles du firmament dans le plus profond des abysses.
Les doigts d’Eurydice se crispèrent autour de son javelot. Le bruit perceptible du piton rocheux sur lequel elle montait la garde l’alerta. Des pierres dévalaient la pente en contrebas, miettes de rochers sans doute déplacées par un ennemi en approche presque discrète.
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