Le Miroir
Face à moi se trouve une paire de cuisses grandes ouvertes, sans honte, décidées, généreuses, mais qui, pourtant, ne débordent pas d'un fauteuil en osier sur laquelle elles sont posées. Les talons sont au sol et résistent à l’envie de se lever. Quelques longs soupirs, des gémissements, et des respirations pour l’instant encore maîtrisées les y aident. Deux doigts d’une main –est-ce la droite ou la gauche ? peu importe– sont insérés dans un antre déjà très humide qui, lui, contrairement à tout ce qui se trouve à l’extérieur, ne se laisse pas voir. Le plaisir que procurent ces doigts n’est pas pour autant invisible. Formant un petit crochet, ils appuient à un endroit agréable, aussi fort qu’ils le peuvent, mais pourtant pas aussi efficacement que ceux de l’homme dont le souvenir me vient à l’instant. Deux doigts de l’autre main décrivent des ovales réguliers sur une autre partie cachée, qu’ils recouvrent et excitent, et à laquelle ils offrent l’un des touchers les plus agréables au monde. Quiconque pénétrerait au sous-sol à cet instant comprendrait immédiatement ce qui s’y passe, tout en restant perplexe sur comment on peut en arriver là, à s’exciter et se donner du plaisir au milieu de ces objets provenant des ses multiples quêtes entre châteaux et brocantes.
En fait, on ne voit pas grand-chose car la seule lumière est celle d'un candélabre d'où quelques bougies laissent couler la cire comme des sexes masculins excités par tant d'érotisme de ma nouvelle propriétaire. Sa tête est coupée, hors du cadre de ce grand miroir qui reflète rien que pour moi ce spectacle improvisé. Je ne devine que sa bouche qui exhale un souffle qui embue un peu mon tain… Oui, j’ai la tête ailleurs. Il manque une tête pensante dans l’image si corporelle de cette femme qui se fait plaisir. Ma tête est ailleurs, ou alors je l’ai perdue et sûrement, avec elle, une partie de mon cœur dont la résistance m’étonne.
Sa robe en lin beige s’y reflète. Voilà qu’elle glisse à ses pieds, suivie par une culotte blanche en coton, sans dentelles. Les pieds, nus, se dégagent de ses chaussures aux talons vertigineux. Un soutien-gorge rejoint le reste des vêtements à même le tapis persan négligemment étendu sur le sol. Il n’y a qu’à déplacer le fauteuil d’un mètre pour qu’elle soit parfaitement centrée. J'aperçois en arrière plan, un sofa, un tas d’habits et des chaussures féminines , et, derrière, des peintures représentants toujours la même femme offerte et nue , et puis, au tout premier plan, un corps nu de femme déjà un peu bronzé par un été clément. Cette image-là, à elle seule, pourrait raconter tant d’histoires, tant d’épisodes. Le choix d’une pilosité présente mais maîtrisée, chaque cicatrice, chaque trace dirait son vécu et toute ceci pourrait être sujet à interprétation, sujet de longues conversations post-coïtales. La femme reflétée dans le miroir se dit soudain que ce décor de meubles entassés et ces multiples bibelots peuvent paraitre étrange. Elle se rappelle de tous les moments qu’elle y a passés avec ses amants, ses maîtresses.
Elle s'installe dans ce fauteuil, je le découvre sur affiche de cinéma , face au miroir. Cela fait longtemps qu’elle ne s’est plus fait plaisir en se regardant en entier. Elle n’en a plus ressenti l’envie. Sûrement est-ce dû au fait que son destin l’a porté vers un homme pour être son vis-à-vis, un homme avec lequel échanger des regards, des caresses, des baisers, des fluides et des énergies…
Un homme qui l’a faite se sentir entière : la tête était là, le sexe et tout son corps. Le cœur ? Qui pourrait le savoir ? Cela lui échappe aussi, mais désormais, elle comprend un peu mieux pourquoi il la trouve belle.
« Miroir, mon beau miroir, dis-moi qui est la plus belle ? » - « Belle comment ? Pourquoi une question si pleine de vanité ? N’as-tu pas d’autres qualités à mettre en avant pour combler ton estime de toi ? ». Il a eu raison de le lui dire. Cela faisait longtemps, aussi, que personne ne le lui avait dit avec une telle sincérité et qu’elle n’avait pas senti autant de désir –même pas le sien propre– posé sur son corps. Elle s’assied et voit ses jambes s’écarter et ses talons se poser au sol. Son corps est reflété jusqu’au cou. Un instant, elle hésite à ajuster son miroir pour se voir elle-même, se voir entière, pouvoir soutenir son propre regard au moment de jouir, puis elle y renonce car déjà ses doigts ont trouvé leur position, leur mouvement, leur rythme. Ses talons, libres pourtant, restent au sol pour maintenir cet écartement. Elle a décidé de l’ouverture dans plusieurs domaines de sa vie. Pourquoi se fermer ? Pourquoi craindre de laisser arriver ce plaisir ? Elle commence à avoir chaud. De temps en temps, l’une des mains quitte sa tâche et s’en va soupeser l’un ou l’autre des deux seins, puis elle reprend son mouvement de pression ou de tourbillon autour d’un clitoris très réceptif. Sait-il que c’est la dernière fois qu’il est sollicité dans ce lieu souterrain ? Ce corps sait-il tout ce qui va lui arriver ? Le temps n'est plus à la réflexion mais à l'action. Je réfléchis seul , malgré le manque de lumière, un corps qui, au bout de quelques minutes, se met à trembler et puis se cabre brièvement dans un soupir indiscret, suivi d’un éclat de rire grandiose. Oui, c’était la première fois ici avec elle, moi son nouvel objet … une réflexion excitante. J’ai encore le temps de savourer les effets de ce plaisir improvisé, et de la voir se rhabiller.
Soudain elle semble s'adresser à ma personne.
« A demain mon beau miroir »